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Missions secrètes polonaises en RSS d'Ukraine – 1928/1933

 
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Paul



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MessagePosté le: Ven Mar 26, 2010 6:55 pm    Sujet du message: Missions secrètes polonaises en RSS d'Ukraine – 1928/1933 Répondre en citant

Missions secrètes polonaises en Ukraine soviétique – 1928/1933

D'après Timothy D. Snyder : http://www.sissco.it/fileadmin/user_upload/Pubblicazioni/collanasissco/confini/confini_snyder.pdf

Les soubresauts qui ont suivi la mise en place des frontières européennes après la Première Guerre Mondiale sont bien connus de même que les révisions qui furent réalisées pendant et après la Seconde Guerre. Bien oubliées par contre sont les initiatives visant à détruire l’Union soviétique. Le mouvement Prométhéen des années 1920 et 1930 était destiné à obtenir la désintégration de l’URSS en créant des États indépendants à partir des Républiques qui la constituait. Alors que Moscou utilisait les partis communistes des divers pays européens pour défendre ses propres intérêts, le Prométhéisme tentait d’utiliser les questions nationales sous-jacentes en URSS pour affaiblir le communisme. Il rassembla de grands stratèges à Varsovie et les patriotes exilés de l’ancien Empire russe qui voulaient refonder les Etats indépendants que les Bolcheviks avaient écrasé dans les années qui avaient suivi le coup d’Etat de 1917.

Le Prométhéisme était appuyé par les Puissances occidentales hostiles à la Russie bolchevique, moralement par la France et la Grande-Bretagne mais politiquement et financièrement par la Pologne. Ce plan ne fit jamais partie de la ligne politique officielle d’aucun gouvernement polonais et ne reçut aucun appui des partis politiques qui, de toute façon, n’avaient jamais été consultés. Dans la première moitié des années 1920, le projet prométhéen était matière réservée aux personnes qui y adhéraient. Józef Pilsudski, Chef de l’Etat et Commandant-en-Chef pendant la guerre polono-bolchevique de 1919-1920, subissait une retraite politique de 1923 à 1926. Pendant cette période, il a hébergé jusque dans sa propre maison des hommes politiques exilés de nations non-Russes et les a mises en rapport avec ses hommes de confiance. En mai 1926, Pilsudski revint au pouvoir par un coup d’Etat. Il confia le projet Prométhée à des agents appartenant à plusieurs ministères : Affaires Etrangères, Défense, Intérieur et Cultes. Il leur alloua également des fonds secrets. Le budget, distribué aux divers ministères, s’éleva à 900.000 zlotys en 1927, atteignit un maximum de 1.145.000 zlotys en 1932 et revint à 900.000 zlotys en 1939.

Tadeusz Holówko se trouvait à la tête des opérations prométhéennes. Officiellement, il était Directeur du Département oriental du Ministère des Affaires Etrangères. Après le retour de Pilsudski aux affaires, les hommes politiques prométhéens en exil en appelèrent au gouvernement polonais. Holówko fut dépêché auprès d’eux par Pilsudski afin d’aider à organiser les représentations des mouvements sécessionnistes non-Russes émigrés à Paris, en particulier en soutenant leur publication en langue française nommée ‘Prométhée’. Avec l’aide d’hommes de confiance en poste dans les corps diplomatiques polonais, Holówko s’occupa personnellement d’Ankara et de Téhéran où des postes avancés prométhéens permanents furent mis en place. Il souhaitait obtenir l’aide turque pour appuyer une rébellion dans les régions turcophones du sud de l’URSS et l’aide iranienne pour créer une confédération caucasienne sécessionniste dont ferait partie les républiques d’Azerbaïdjan, de Géorgie et des régions nord des montagnes du Caucase (comme la Tchétchénie). Varsovie était particulièrement intéressé par cette Confédération du Caucase et plus encore par la possibilité d’aider au rétablissement d’une Géorgie indépendante. Le Consulat de Pologne à Tbilisi était fameux pour son activité malgré l’absence de populations polonaises qui aurait pu justifier un travail consulaire normal. Lorsque des contacts géorgiens de Holówko furent jugés en 1927 à Kharkiv, capitale de l’Ukraine soviétique, le rôle du Consulat devint largement connu de tous.


L’Ukraine prométhéenne

L’Ukraine était le centre des espérances polonaises et la politique prométhéenne concentrait sur la frontière polono-ukrainienne la plupart de ses ressources financières, politiques et militaires. Au cours de la première période de gouvernement de Pilsudski, Varsovie fut l’alliée de la République Populaire d’Ukraine. Les armées polonaises et ukrainiennes marchèrent ensemble sur Kyiv en mai 1920. Elles furent repoussées par les Bolcheviks et en accord avec les préliminaires de paix de mars 1921, les soldats ukrainiens se retrouvèrent internés dans des camps en Pologne. Plusieurs milliers d’entre eux émigrèrent par la suite. Leur chef, Symon Petliura fut assassiné à Paris quelques jours après le retour au pouvoir de Pilsudski en mai 1926. Néanmoins, celui-ci remit à l’ordre du jour la coopération avec ce qui restait des forces ukrainiennes.

Après le coup d’État, 35 officiers ukrainiens furent admis dans l’Armée polonaise comme officiers contractuels alors que de hauts gradés entraient dans les principales académies militaires. Dans le plus grand secret, l’Armée de la République Populaire d’Ukraine fut rétablie sur le sol polonais le 28 février 1927. Le but premier de l’Etat-major ukrainien était la création rapide d’une force militaire bien entrainée et la création de conditions favorables à une intervention extérieure en Ukraine soviétique. L’Etat major ukrainien était divisé en trois Sections. La Première Section était chargée de la planification de la guerre. Elle recrutait et enregistrait les officiers et soldats réellement et potentiellement disponibles et mettait au point les plans de mobilisation. Les plans de guerre incluaient l’étude de schémas prévoyant la mise en place d’une nouvelle administration après l’occupation de l’Ukraine soviétique. La Deuxième Section était responsable du renseignement et du contre-espionnage. Sa principale tâche était la création de cellules clandestines en RSS d’Ukraine et le recrutement de personnes fiables destinées à agir en cas de guerre. Elle devait aussi élaborer des moyens pour envoyer des agents ukrainiens en Ukraine soviétique depuis la Pologne. La Troisième Section était chargée de la propagande, des tracts et des libelles qui devaient être acheminés du côté soviétique de la frontière.

La ligne générale de la nouvelle politique polonaise était certainement connue des Soviétiques. Pilsudski nomma un de ses proches, Henryk Józewski, voïvode de Volhynie, région disposant d’une frontière importante avec l’URSS. Józewski avait été commandant-adjoint de la section ukrainienne du POW (Organisation Militaire Polonaise) à Kyiv au cours de la Première Guerre. En avril 1920, il devint Vice-ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de la République Populaire d’Ukraine (UNR). Comme voïvode de Volhynie, Józewski gardait à l’esprit la Marche sur Kyiv, l’alliance entre Pilsudski et Petliura et l’idée d’un futur Etat ukrainien qui devait être fondé en Ukraine soviétique. Il pensait que « la conception de Pilsudski et de Petliura était la seule construction qui permettrait de résoudre la question polono-ukrainienne en suivant les lignes directrices de la raison d’Etat ». Ses propres décisions étaient prises dans l’esprit des « projets polono-ukrainiens de Petliura et après consultation des hommes de l’Ataman séjournant en Volhynie ». Comme Józewski le laissait entendre, son amitié avec ces hommes s’était forgée dans « un esprit de fraternité pendant la lutte armée contre Moscou ». Tandis que d’anciens collègues « plétiurites » de Józewski s’installaient en Volhynie, d’autres rejoignaient les agences d’espionnage polonaises en Ukraine. Józewski abrita également dans sa propre maison des fonctionnaires consulaires britanniques, ainsi que des militaires de ce pays.

Quelques semaines après son arrivée en Volhynie, Józewski fit un discours le 2 septembre 1928 dans lequel il exposait ses buts. En se présentant comme un des membres du gouvernement de la République Populaire d’Ukraine de 1920, il déclara que l’alliance Pilsudski-Petliura résumait à elle seule sa politique en tant que voïvode et qu’il nourrissait l’espoir de voir naître une Ukraine indépendante à la place de l’Ukraine soviétique. Au cours des mois suivants, la presse de Moscou critiqua et se moqua du passé et de la politique de Józewski. Un article de la Pravda du 14 septembre déclarait que le gouverneur ne faisait que traduire en mots les idées de Pilsudski et que ce discours était une raison supplémentaire pour s’attendre à une agression armée de la part de la Pologne. Les jours suivant, l’Izvestiia publiait une biographie précise de Józewski et proclamait que les émigrés politiques ukrainiens de Volhynie allaient servir de troupes de choc pour des interventions armées en Union soviétique et comme ministres d’un gouvernement ukrainien fantôme. Le but de Józewski, selon les journaux communistes, était de séparer l’Ukraine de l’URSS. Une caricature parue dans l’Izvestiia du 15 septembre le montrait portant une casquette d’officier polonais placée par-dessus un casque ukrainien, la barbe hérissée et proclamant à travers une épaisse et imaginaire moustache que « l’Ukraine doit appartenir à la Pologne ».

Dans son discours de septembre 1928, Józewski déclarait « qu’il y a un courant sous-terrain très profond où se trouve réunies les tendances au développement commun des deux nations, polonaise et ukrainienne. Il existe une communauté subconsciente à toute épreuve de cette ligne d’intérêt ». Les dirigeants communistes doivent avoir noté que le courant en question s’écoulait à un autre niveau que subconscient. Pendant l’été, les gardes frontières soviétiques remarquèrent des bouteilles, bouchées et lestées par un caillou, flottant dans le courant des rivières qui les emmenaient vers l’Ukraine. Chacune contenait cinq ou six tracts ou affichettes appelant à ne pas donner leurs récoltes aux Bolcheviks et aussi, très précisément, à la révolution nationale ukrainienne. Le directeur des organes de sécurité soviétique de la frontière expédia un télégramme alarmiste à Moscou le 31 août 1928 par lequel il présumait, avec raison, que « ces importants envois de proclamations contre-révolutionnaires » étaient l’œuvre d’agents « petliurites » résidant en Pologne. Le discours de Józewski, qui eut lieu deux jours plus tard, était le signal d’un changement d’attitude et le point de départ de la propagande de guerre, un défit direct lancé au système soviétique.


Les passeurs de frontière

Le Contre-espionnage du Deuxième Bureau polonais dirigeait les opérations de franchissement de frontière par l’intermédiaire des sections d'information de chacune des dix régions militaires de Pologne. Alors que la section d'information de la région militaire de Varsovie était responsable du recrutement et de l'entraînement des agents de contre-espionnage, les régions militaires orientales étaient chargées de la coordination et de l’exécution des missions sur le territoire soviétique. La plupart des missions ukrainiennes ont été misent en œuvre à partir de la région militaire de Lwów. Les agents envoyés par la section d'information de Lwów traversaient la frontière illégalement avec des missions distinctes comme le renseignement, le contre-espionnage, la propagande, ou l’accomplissement de missions de sabotage. Au printemps 1929, des officiers du contre-espionnage ukrainiens employés par les Polonais utilisèrent la politique d’ukrainisation encore en vigueur pour pénétrer des institutions soviétiques. Les agents ramenèrent les informations demandées, recrutèrent des fonctionnaires soviétiques dans la région de Dnipropetrovs’k ou même ramenèrent en Pologne, après plusieurs voyages sans encombre, des agents soviétiques disposés à se joindre à eux. En 1930, le nombre de recrues originaires d’Ukraine augmenta parmi ceux qui fuyaient la campagne de collectivisation. Un agent féminin parvint à s’introduire au sein de l’OGPU de Kyiv.

Jusqu’en 1932, le travail du commandement de Lwów avait rapporté des résultats tangibles. En mars les militaires pouvaient se vanter d’avoir des agents actifs au sein de l’OGPU de villes importante proche de la frontière comme Kam'ianets Podil's'kyi, dans la flotte du Dniestr et dans des garnisons de l’Armée Rouge à Kyiv et à Kharkiv.
Des agents étaient capturés par les organes de sécurité soviétiques, mais un bien plus grand nombre semble être resté suffisamment longtemps en Union soviétique pour accomplir leurs missions. Ils avaient appris beaucoup de choses sur le personnel de l’OGPU, surtout en Ukraine, et sur les experts en nationalité. Le mécanisme de franchissement de la frontière, le point crucial de l'opération entière, avait été perfectionné. La Deuxième Section de l’UNR avait acquis de l’expérience dans le recrutement des agents. Le Corps de Défense des Frontières (KOP), réformé en 1931, était maintenant en partie une organisation de renseignement subordonnée au Deuxième Bureau. Dès lors, ses officiers avaient appris à trouver des « fenêtres » ouvertes sur la frontière soviétique à la moindre demande.
Le commandement de Lwów était aussi responsable des agents russes antisoviétiques employés par la section de contre-espionnage du Deuxième Bureau à Varsovie. Barnaba Outpost, par exemple, était au début un réseau polono-britannique puis polonais, d'agents russes antibolcheviques. Les services de renseignement britannique et polonais ont d'abord recruté des Russes dans l'émigration d’Europe occidentale, principalement semble-t-il en France puis les envoyait en Pologne pour parfaire leur entraînement. Barnaba semble avoir aussi employé des agents bélarusses. Le commandement du Deuxième Bureau de Varsovie préparait de tels agents à des missions en Union soviétique et leur faisait ensuite passer la frontière, très souvent par la Volhynie. L’agent de liaison entre les Renseignements polonais et britannique semble avoir été un certain Niezbrzycki, qui a écrit sur la coopération informelle en 1932 puis sur les relations formelles qui ont pris la suite entre le Deuxième Bureau et les Services Secret britannique.

En 1931, la plupart des nouveaux agents polonais étaient des Ukrainiens, des patriotes de la génération de 1920, ou des réfugiés plus jeunes provenant d’Ukraine soviétique. Des milliers de paysans échappèrent à la collectivisation de l’agriculture de l’Ukraine soviétique en traversant illégalement la frontière polonaise. Certains d'entre eux ont été recrutés par le commandement de Lwów.
Plus nombreux étaient les Ukrainiens qui ont fait partie d’un réseau nouveau et distinct organisé par la Deuxième Section de l'Armée ukrainienne, en collaboration avec le Deuxième Bureau. Ceux-ci étaient quelquefois des hommes et des femmes qui étaient membres de l’administration volhynienne de Józewski, laquelle comprenait une bonne part de fonctionnaires ukrainiens. Dans l’esprit de l’Etat major de l’UNR, ces agents devaient préparer l'Ukraine à une nouvelle intervention armée qui serait autrement mieux planifiée et exécutée que celle de mars 1921, et profiterait de l’échec de la politique des nationalités soviétique et de l’opposition à la nouvelle politique de collectivisation des terres agricoles. Il ne fallait pas être doué d’une grande capacité d’observation pour voir que les paysans ukrainiens étaient massivement opposés à cette politique. De plus, les paysans ukrainiens collaboraient volontiers avec les services de renseignement polonais.


Collectivisation

En 1929 et 1930, la Deuxième Section a imprimé et distribué, avec le soutien polonais, des dizaines de milliers de brochures et de tracts destinés à être distribués en Ukraine soviétique. Une brochure de 1929 mettait en garde contre le "Tsar de la Faim". Une autre brochure publiée cette année-là expliquait la collectivisation dans des termes comme "Ce que le Pouvoir Moscovite Donne et Ce qu’il Reprend". Une proclamation intitulée "Paysans ! Ne Donnez pas Votre Pain aux Bolcheviks" a été imprimée trois fois, en 1928, 1929 et 1930. Une interprétation de la collectivisation, « Le spectre de la faim surgit de nouveau au-dessus de l'Ukraine ! Une fois encore, par la faute des Bolcheviks, notre nation mourra d’inanition ! », expliquait que Moscou vendait des denrées alimentaires ukrainiennes pour obtenir des devises fortes qui étaient utilisées pour soutenir les partis communistes à l'étranger. De nouveaux libelles publiés en 1930 adoptaient le même ton. Un appelait les paysans à abandonner les kolkhozes pendant qu'ils le pouvaient encore, et à prendre les armes "pour la bataille finale pour la Terre et la Liberté". Il montrait, avec beaucoup de clairvoyance, que ces aliments cultivés collectivement seraient envoyés dans les villes puis vendus à l'étranger. Un autre annonçait que la famine rendrait l'Ukraine plus facile à soumettre au pouvoir de Staline et que l'indépendance nationale était la seule protection contre sa politique délétère, comme la collectivisation. La propagande s'efforçait, par des mots simples, de fournir une interprétation politique globale et un programme qui parlerait à l'expérience de chaque paysan ukrainien.

Comme la collectivisation en Ukraine s’était accélérée au début de 1930, l'agitation soutenue par la Pologne parlait à la condition des paysans qui avaient à faire face à un changement soudain et radical dans leur mode de vie. La collectivisation signifiait la saisie rapide de toutes les terres cultivables et la création de kolkhozes dans lesquels tous étaient obligés de travailler. C’était le retour du servage !
Bien que la collectivisation ait commencé officiellement en 1928, 16% seulement des exploitations agricoles d’Ukraine avaient été collectivisées au 1er janvier 1930. Le 11 mars 1930, ce nombre atteignait 64%. Près de la moitié des terres cultivables avaient été saisies en l’espace de dix semaines. La résistance fut immédiate et massive. L’OGPU rapportait que l'Ukraine était la plus rebelle des républiques soviétiques. Presque un million de personnes y ont été signalées comme prenant part à des manifestations de masse contre la collectivisation, la grande majorité au cours du mois de mars 1930. Des propagandistes du Parti étaient assassinés et des membres du Parti refusaient d'entrer dans les villages. Les régions bordant la Pologne, où la propagande arrivait plus facilement et où la fuite vers l'étranger était possible, étaient particulièrement rebelles. L’OGPU rapportait que des centaines de villages frontières avaient simplement cessé d'exister : leurs habitants avaient fui.

Plusieurs milliers de personnes avaient réussi à passer en Pologne, où elles ont été appréhendées par la police des frontières polonaise et requises d'expliquer les circonstances du franchissement illégal de la frontière avant de recevoir la permission de rester. Les histoires étaient habituellement les mêmes, que les patronymes soient ukrainiens, polonais, ou juifs, qu’ils signent en caractères cyrilliques ou latins, ou simplement avec une empreinte du pouce. Chacun racontait que tous ou presque tous les paysans étaient opposés à la collectivisation. Beaucoup de ceux qui avaient fui craignaient, avec raison, qu'on les envoie en Sibérie pour avoir osé s'opposer au pouvoir soviétique. Des officiers de renseignement polonais rapportaient d’ailleurs que les soulèvements de masse armés et les meurtres des communistes étaient à l’ordre du jour dans la région frontière. L’un d’entre eux concluait "la population attend, avec la plus grande force, l'intervention armée des pays européens". Les paysans eux-mêmes, comme ils l’ont montré une fois la frontière franchie, supplient les Polonais d’entrer en guerre. Beaucoup de paysans sont armés et attendent seulement une bonne occasion. Ils disaient : "Si une guerre éclatait, l’état d’esprit des gens est tel, que si l'armée polonaise apparaissait aujourd'hui, ils embrasseraient les pieds des soldats et la population entière se soulèverait contre les Bolcheviques".

Les Soviets avaient quelques raisons de craindre les passeurs de frontières. Le discours de septembre 1928 de Józewski était sans équivoque. En 1929, les Soviets avaient « cassé » un réseau polonais organisé par le Deuxième Bureau. En novembre 1929 l’OGPU avait procédé à sa première arrestation, celle d'un agent ukrainien envoyé de Pologne pour cette nouvelle campagne d’agitation et de renseignements. Bien qu’il y eut de nombreux succès au cours de l’année 1930, jamais autant d'agents ukrainiens travaillant pour la Pologne n’avaient été arrêtés. Certains ont apparemment été retournés par les Soviets et renvoyés en Pologne avec de fausses informations.


Peurs aux frontières

Utilisant les mêmes méthodes qui lui avaient permis d’atteindre le pouvoir suprême dans le parti bolchevik et en Union soviétique, Iosif Staline exploitait la menace d’une guerre extérieure menée par la Pologne et celles d’une rébellion intérieure de la paysannerie. Au printemps1927, les assertions de la propagande soviétique d’après lesquelles la Pologne était décidée à envahir l’URSS, reçurent la confirmation que les deux peurs étaient liées. De nombreux paysans, d’après les rapports des services de renseignement soviétiques, voyaient la menace de guerre comme certaine et même comme une bonne nouvelle. Ils croyaient que l’invasion polonaise leur permettrait de se libérer du joug communiste et de se venger des communistes eux-mêmes. Un paysan bélarusse disait, sans doute avec joie, qu’« après l’arrivée des Polonais, nous pendrons et abattront les communistes comme des chiens ». Les Ukrainiens croyaient, d’après la police d’Etat soviétique, qu'une guerre avec la Pologne permettrait à l'Ukraine de gagner son indépendance. L'armée de la République Populaire d’Ukraine avait effectivement été reconstituée en Pologne au début de l’année 1927. Sans surprises, le scénario idéal qu’elle retenait pour la libération de l’Ukraine était précisément la combinaison d’une rébellion intérieure et de l’intervention militaire polonaise.

En 1928, tandis qu’il défendait son plan de collectivisation, Staline voyait un lien entre la paysannerie soviétique et le militarisme polonais. S'étant par le passé opposé à une collectivisation trop rapide, Staline avait maintenant changé d’avis. Quelles que soient les origines des famines précédentes, et jusqu’en 1928 il y en eut plusieurs, Staline les avait présentées comme les conséquences d'actions entêtées des ennemis de classe. Seule la destruction de la classe hostile des paysans prospères pouvait supprimer la menace intérieure et aussi affaiblir le danger extérieur qui, ensemble, menaçaient l'existence de l'Union soviétique. Staline considérait comme allant de soi l’hostilité des paysans envers le système communiste ainsi que leur rébellion aussitôt qu'apparaitraient les armées polonaises. En 1928, il présentait à ses camarades le spectre d'une guerre sur deux fronts : le front polonais et le front paysan. Puisque l'Union soviétique perdrait une telle guerre, il défendait l’idée qu’une guerre préventive était nécessaire pour supprimer la menace paysanne et détruire le « capitalisme campagnard ». Les questions paysanne et polonaise se rejoignaient en Ukraine soviétique, là où les paysans s’opposaient avec le plus d’ardeur aux réquisitions de l’Etat.

Quand Staline soulevait ces deux spectres, il réactualisait l’ancien dilemme de la Russie : comment moderniser le pays pour approcher le niveau économique de l'Occident sans l’exposer à ses dessins agressifs. La collectivisation était destinée à la fois à faire progresser la révolution et aussi à la protéger. L'État avait besoin de prévoir la quantité de grain à récolter qui permettrait d’obtenir des devises fortes sur les marchés étrangers et de nourrir les ouvriers établis dans les villes de l’Union soviétique. Les créateurs d'une révolution "scientifique" voulaient obtenir une assurance politique contre les vicissitudes de nature. La collectivisation transférerait le prix du mauvais temps et donc des mauvaises récoltes de l'État aux paysans. Dès que l'État contrôlerait les terres cultivables et la campagne, il pourrait recueillir un quota de grains sans tenir compte des préférences ni des besoins de ceux qui travaillaient la terre. Le mauvais temps signifierait la famine pour les paysans mais sans déficit pour l'État. Certes, il y avait aussi l'argument idéologique d’après lequel l'agriculture collective faciliterait la construction du socialisme et certains Bolcheviques croyaient que l'agriculture collective était plus efficace. Comme les paysans d'Ukraine soviétique, et d’ailleurs, s’opposaient aux réquisitions en 1926, 1927 et 1928, les défenseurs de la collectivisation rapide de 1929 insistaient particulièrement pour que celle-ci soit aussi un moyen de contrôle social.

Ces arguments ont été utilisés dans la lutte pour le pouvoir au sommet du Parti Bolchevique, dans lequel Staline, avec l'aide d'alliés et de coalitions temporaires, gagnait lentement une position dominante. Même justifiée, la collectivisation était destinée, à brève échéance, à intensifier plutôt qu’à résoudre les problèmes des paysans. Les paysans qui étaient déjà dépourvus de terre pouvaient être apprivoisés mais ceux qui étaient réduits à l’état de paysans sans terre essaieraient de résister.

Au printemps 1930, alors que la collectivisation accélérée se poursuivait, la direction soviétique décida d’attaquer le front des paysans décrit par Staline dans la Russie du sud, en Ukraine et au Kazakhstan. Certains chefs soviétiques croyaient aussi qu'ils devraient bientôt faire face au front polonais. La résistance à la collectivisation était la plus forte en Ukraine et dans sa zone frontière polonaise. Plus de moitié des troubles en Ukraine soviétique sont survenus à proximité de la frontière polonaise, là ou une des raisons semblait être l’organisation de la fuite à l’étranger.
Les gardes frontières soviétiques étaient dépassés par les évènements et par les rumeurs de préparation d’une guerre de libération par la Pologne. Les bruits d'une attaque polonaise étaient répandus par les agents ukrainiens de Pologne. Les directions locales du Parti, qui pour des raisons d’auto-défense politique (et personnelle) ne pouvaient dire que la collectivisation était seule responsable de la fuite des paysans, proclamaient que les Consulats étrangers étaient les organisateurs de cet exode. En fait, le consulat polonais de Kharkiv a été surpris et submergé de demandes spontanées de visa par des paysans qui voulaient fuir en Pologne pour échapper à la collectivisation.

Le 15 mars 1930 Staline appela à un arrêt temporaire de la collectivisation. Le 17 mars 1930 les unités occidentales de l'Armée Rouge furent placées en état d’alerte sur pied de guerre. Le 18, le Commissaire soviétique aux Affaires Militaires, Konstantin Vorochilov, expédia des instructions à ses officiers afin de se préparer à une attaque polonaise. Le 25 mars, l’Etat major avait préparé les plans complets pour les divers théâtres d’opérations et conclu qu’après une attaque par les forces combinées de la Pologne et de la Roumanie, toute l'Ukraine et le Belarus auraient été occupés, Leningrad et la Russie occidentale seraient menacées.
Maxim Litvinov, le Commissaire pour les Affaires Etrangères, avait écrit à Staline qu'il craignait que la collectivisation provoque une invasion polonaise. Les instructions qu’il reçut de Staline étaient de chercher la paix avec la Pologne. Le ministère des Affaires étrangères soviétique entreprit une nouvelle campagne pour amener la Pologne à la table des négociations. Staline semblait inquiet et craignait que Litvinov manque l’occasion de signer un traité avec la Pologne.


Le choix de Varsovie

Au printemps 1930, les Soviétiques accusaient la Pologne d'intentions hostiles à leur égard et reconnaissaient leur propre vulnérabilité. Les services des renseignements polonais produisaient les preuves d’après lesquelles la collectivisation avait effectivement déstabilisé la RSS d’Ukraine. Les réfugiés continuaient à passer la frontière et réclamaient une intervention polonaise. Les alliés ukrainiens de la Pologne étaient prêts à entreprendre une autre marche sur Kyiv. L’Etat major de l’Armée ukrainienne était prêt comme jamais pour une autre guerre avec l'Union soviétique. En trois ans de travail, les officiers ukrainiens avaient été formés, l'équipement rassemblé, les plans de mobilisation perfectionnés. Les délais de mobilisation générale avaient été abaissés à 10-14 jours.

Pourtant les responsables polonais déclinèrent le projet d'invasion de l’Ukraine prévu pour le mois de juin 1930. Ils ne voyaient aucune raison d'attaquer. De même qu’ils avaient observé les tensions causées par la collectivisation, ils avaient aussi remarqué les contre-mesures soviétiques.
Ils savaient que les forces des gardes frontière avait été doublées, que l’OGPU patrouillait la frontière, que des divisions entières de l'Armée Rouge avaient été rappelées et installées à proximité.
Varsovie réalisait, peut-être, que les autorités soviétiques avaient pris des mesures préventives pour intégrer la collectivisation au maintien de l'ordre près de la frontière. Les observateurs polonais avaient certainement d’amples raisons de soupçonner l'étendue de la répression soviétique. Le 30 janvier 1930, le Politburo avait ordonné que 15.000 paysans prospères, ou “koulaks”, soient envoyés préventivement dans des " camps de concentration" et un autre groupe de 30.000-35.000 devait aussi être déporté. Des instructions données le 2 février précisaient que les “koulaks devaient être liquidé en tant que classe”. Le 5 mars 1930, dans ce qui fut peut-être la première déportation purement ethnique de l'histoire soviétique, le Politburo avait ordonné que 10.000 à 15.000 familles, “en premier lieu celles de nationalité polonaise”, devaient être déportées loin des zones frontalières ukrainiennes et bélarusses. Lors de ces « transferts », quelque chose comme 90.000 personnes ont été déportées à l’occasion du "nettoyage d'éléments contre-révolutionnaires de la zone frontière” entre le 20 février et le 20 mars.

Le désordre social aurait du suffire comme prétexte à l'invasion puisque la Pologne avait en 1920 planifié une guerre pour libérer l'Ukraine. Dix ans plus tard, la Pologne n'avait plus une telle intention. La Pologne avait des plans prévoyant l’éventualité d’une invasion de l'Union soviétique, mais ils étaient de nature défensive. Une invasion rapide devait s’intégrer dans un plan de défense dans le cas où une guerre aurait été perçue comme inévitable. Dans une telle situation, l’Etat-major polonais avait l’intention d'exploiter des délais de mobilisation plus courts et (c’est du moins, ce que croyaient les généraux) leurs moyens techniques supérieurs pour désarticuler l'Armée Rouge avant qu'elle puisse concentrer des forces supérieures. Les victoires tactiques devaient être gagnées avant que les Soviets puissent terminer la mobilisation complète et avant que les troupes soviétiques de l'Orient arrivent à l’ouest. L'incursion préventive en Union soviétique exigerait le soutien des Ukrainiens avec lesquels les Polonais avaient établi des relations très proches, en particulier avec la République Populaire d’Ukraine. Les Ukrainiens pensaient sans doute que la Pologne se lancerait dans une guerre de libération ; mais pour les Polonais, les Ukrainiens étaient avant tout un élément destiné à être utilisé, si nécessaire, dans une guerre que les Polonais n'avaient aucunement l’intention de commencer. La Pologne voyait aussi la République Populaire d’Ukraine comme une sorte d'assurance contre l’anarchie. Pilsudski et ses proches croyaient que l'Union soviétique s'effondrerait probablement à cause de ses contradictions internes et voulait avoir un gouvernement ukrainien en réserve pour faire face à cette éventualité. Varsovie aurait été ravie si la propagande et les sabotages avaient contribué à l'effondrement de l'Ukraine soviétique, mais n'avaient aucune intention d'intervenir à leur suite.
Les patriotes ukrainiens de Pologne et les paysans ukrainiens de l'Ukraine soviétique n’étaient que des pions de la politique polonaise aussi bien que soviétique.

La Pologne changeait effectivement sa ligne politique avec les Soviétiques, mais dans le sens d’un rapprochement plutôt qu’un conflit renouvelé. Le déséquilibre numérique entre l'Armée polonaise et l'Armée Rouge grandissait rapidement. Les dépenses militaires soviétiques avaient augmenté énormément en 1931 et de nouveau en 1932. Les forces soviétiques et polonaises étaient encore comparables dans ces années (l'Armée polonaise comptait 266.000 hommes et l'Armée Rouge 562.000, déployés toutefois sur une étendue beaucoup plus vaste), mais la tendance était claire. Alors que les Soviets renforçaient leurs armées, la dépression obligeait à faire des coupes sombres dans les budgets militaires polonais. Les Soviets commençaient à développer une doctrine plus moderne de la guerre mécanisée, l'Armée polonaise restait limitée à l'image archaïque de la « guerre de mouvement » selon les vues de Pilsudski.

Les vieux alliés avaient peu à offrir à Varsovie. Les Britanniques dérivaient vers l'isolement. L'alliance défensive de la Pologne avec la France était dirigée contre l'Allemagne, pas contre l'Union soviétique. Même si l’URSS se voyait elle-même ouverte à toute attaque, Varsovie était disposée à confirmer le statu quo. Varsovie accepta donc l'offre de Moscou de négocier un pacte de non-agression et présenta un projet le 23 août 1931.
La collectivisation se poursuivait, Varsovie et Moscou assumèrent les conséquences.

Le traité soviéto-polonais de non-agression fut signé le 25 juillet 1932. L'Union soviétique continua cependant à présenter la Pologne comme une menace, mais les planificateurs militaires soviétiques des années 1930 ne voyaient plus la Pologne comme une puissance capable d'attaquer l'Union soviétique.

Le printemps 1930 était probablement la dernière occasion donnée à la Pologne de gagner une guerre préventive contre l’Union soviétique.


La famine de Staline (HOLODOMOR)

Un rapport de l’OGPU de fin 1931 parlait de l'abattage massif du bétail pour prévenir sa confiscation et du refus des autorités communistes locales de procéder aux collectes de grains.

Au cours de l’hiver 1931-1932, les choses empirèrent.
La police signalait des morts par inanition et des manifestations de masse. Plus de 125.000 personnes d'Ukraine soviétique avaient fuit illégalement la campagne pour la ville (c’est l’époque de l’instauration des passeports intérieurs). Staline et le Politburo choisirent d’interpréter le problème comme la conséquence de la mauvaise volonté des paysans ukrainiens et de l'indiscipline des cadres locaux du Parti.

En juin 1932, Le Politburo décida que, « pour éviter les erreurs du passé », les membres du Parti devaient pouvoir s’introduire dans chaque local, chaque maison, afin de rechercher les endroits où le blé était dissimulé. Le 20 juin 1932, l’OGPU rapportait que les semailles annuelles en Ukraine s'étaient faites dans "des conditions extrêmement tendues". Des paysans se suicidaient plutôt que de se laisser mourir de faim et le cannibalisme était déjà fréquent. Les paysans étaient trop affaiblis par la faim pour travailler les champs. L’OGPU annonçait qu'il avait liquidé 119 "organisations de koulaks contre-révolutionnaires" et 35 "groupes contre-révolutionnaire". Quelques 116.000 autres paysans cherchèrent encore à fuir la campagne cet été là. Les paysans et les chefs locaux du Parti trouvèrent à nouveau irréalistes les quotas de réquisition, fixés en juin, pour l’année 1932. Le 5 août, l’OGPU parlait de fractions entre les communistes ukrainiens et les « nationaux-communistes » d’Ukraine « qui étaient au service de la Deuxième Section » petliurite. Ceci devait être compris comme étant la cause première de la résistance des cadres locaux dont le relâchement de la discipline encourageait les paysans à amasser les blés, causant ainsi l’échec général de l’Ukraine soviétique à atteindre les quotas de réquisition.

Staline affichait maintenant une de ses méthodes de 'génie politique' en utilisant les désastreuses conséquences de sa propre politique comme justificatif pour punir ses adversaires réels ou imaginaires. Il raisonnait ainsi, si les paysans ukrainiens s’étaient rebellés, ce devait être à cause de la Deuxième Section ‘petliurite’; et si la Deuxième Section avait pénétré l’Ukraine, ce devait être la faute du Parti ukrainien. Pour lui, le Parti ukrainien n’était qu’une caricature de parti communiste, complètement pénétré par des ennemis qui avait pour but la destruction de l'Union soviétique. Comme il l’écrivit à Kaganovich « si nous ne faisons pas maintenant d'effort pour améliorer la [notre] situation en Ukraine, nous pourrions perdre l'Ukraine. Ayez à l’esprit que Pilsudski n’est pas un rêveur et que ses agents sont plusieurs fois plus forts que les chefs du Parti ukrainien ne le croient ».
Il continuait : "Ayez en tête que le Parti bolchevique ukrainien (500 mille membres, ha ! ha !) comprend beaucoup (oui, beaucoup!) d’éléments pourris, des petliurites conscients ou non ainsi que des agents de Pilsudski. Lorsque les choses s’aggraveront, ces éléments se hâteront d’ouvrir un front à l’intérieur (et à l’extérieur) du Parti, et contre le Parti. Pire que tout, les Ukrainiens [communistes] ne voient même pas le danger". L'allié de Staline Lazar Kaganovich était d’accord sur le principe suivant lequel la famine devait être attribuée au « travail de Pilsudski » et que les autres explications des camarades ukrainiens devaient être ignorées. En quelques mots, « la théorie d’après laquelle nous, les Ukrainiens [communistes], sommes des victimes innocentes crée la solidarité et cache les responsabilités non seulement des cadres moyens mais aussi celles de la direction du Parti. »

Il semble probable que Staline avait compris que la menace polonaise déclinait. Pilsudski était malade. La Pologne n'avait pas envahi l’URSS en 1930 alors qu’elle était réellement vulnérable à ce moment. Elle avait répondu à l'initiative de paix de Staline en 1931 et venait de signer un pacte de non-agression en juillet 1932. Il semble fort probable que Staline, ayant résolu la menace polonaise à sa propre satisfaction vers l'été 1932, se sentait libre d’exploiter le chaos de la collectivisation pour renforcer sa propre position. Staline envoya ses hommes de confiance, Lazar Kaganovich et le chef de la police secrète Vsevolod Balyts'kyi, en Ukraine pour rétablir l'ordre. Avant d’arriver à Kharkiv, Balyts’kyi savait déjà que la famine était le résultat de sabotages en liaison avec « l’envoi de dizaines d'émissaires petliurites et de la distribution à grande échelle de leurs libelles ». Il était déjà certain “de l'existence en Ukraine d'un réseau clandestin insurrectionnel et contre-révolutionnaire bien organisé, lequel était en liaison avec des pays étrangers et leurs agences de renseignements, principalement avec l’Etat-major général polonais”.

Les agents petliurites de Pologne avaient effectivement effectués des dizaines de missions et avaient distribué des milliers de brochures depuis 1928. Des groupes important avaient traversé clandestinement la frontière, y compris un groupe de saboteurs. Des agents avaient effectivement été appréhendés. Pourtant Staline, Kaganovich, Balyts’kyi et l’OGPU ont ignoré, ou ont fait semblant d’ignorer, ce qui était évident pour les passeurs de frontière eux-mêmes : toute cette agitation n’avait eu aucun résultat politique. L'opposition à la collectivisation et la propagande patriote n'avait pas produit d’organisation politique dans les campagnes. Comme la Deuxième Section de l’UNR l’avait rapporté à Varsovie, « le sentiment des paysans est complètement antibolchevique et très favorable au gouvernement de la République Populaire d’Ukraine, ce qui a fait croire à l’OGPU à l’existence d’une grande organisation clandestine dépendant de l’UNR et l’a épuisé dans des efforts pour découvrir ses réseaux. Cette organisation n’existe pas en fait ».

Les autorités soviétiques rendaient généralement les paysans récalcitrants et la propagande étrangère responsables des échecs de la campagne de réquisition. Et elles agissaient déjà ainsi longtemps avant que la Pologne ne commence à répandre de la propagande encourageant les paysans à garder leur grain. La réalité de la propagande polonaise ajoutait de la couleur et peut-être même de la conviction à une histoire qui servait la politique de pouvoir de Staline. Le complot ukrainien-polonais était présenté comme une réalité en 1932 alors qu’il avait en fait déjà échoué. Pilsudski et Petliura étaient montrés comme des ennemis puissants, quand en réalité le premier était très malade et le second était décédé depuis six ans. Des mesures radicales furent prises pour restaurer l'ordre et récolter des denrées alimentaires en se basant sur l’idée fausse que les pouvoirs locaux étaient corrompus par des puissances étrangères. La section ukrainienne du Parti Bolchevique fut suspendue de ses fonctions. De nouveaux “Départements Politiques” composés surtout d’étrangers furent chargés de la collecte des grains et du contrôle des cadres locaux. Kaganovich mis à l’épreuve le Politburo ukrainien, en obligeant ses membres, dans la nuit du 20 décembre 1932, à fixer de nouveaux quotas pour la réquisition du blé (lesquels, bien que réduits, signifiaient la condamnation à mort de millions de personnes).

Le 29 décembre le Politburo ukrainien déclarait que la condition nécessaire à la réalisation du plan était la saisie “des réserves de famille”. À Moscou, le Comité Central soviétique fermait le cercle autour de la paysannerie ukrainienne. La fuite des paysans faisait aussi partie du plan polonais pour discréditer l'Union soviétique et donc les paysans devaient être empêchés à tout prix de quitter les kolkhozes. Les paysans continuèrent à fuir quand ils étaient suffisamment forts. Ceci conduisit à un autre décret sur la "liquidation des koulaks en tant que tels” par la déportation des gens avant qu'ils ne puissent se déplacer.

Balyts’kyi trouva ce qu'il devait trouver en Ukraine : le nationalisme ukrainien et le complot polonais collaboraient pour empêcher la saisies des grains. Il doit en avoir su davantage. Le chef de l’OGPU de Kharkiv, par exemple, lui écrivait dans une note privée en juin 1933 : “Il y a des villages où une partie importante de la population adulte est partie pour les villes pour chercher de l'argent et du pain, laissant les enfants livrés seuls à leur destin. Dans beaucoup de villages la majorité écrasante des travailleurs des kolkhozes et leurs familles sont en train de mourir de faim, parmi eux beaucoup sont malades et gonflés par la faim [signe qu’on ne pouvait plus les sauver]. Dans beaucoup de cas aucune aide ne peut leur être donnée puisqu'il n'y a plus du tout de réserve. En conséquence, beaucoup de personnes meurent chaque jour”. Il ajoutait ceci : « Parallèlement, le cannibalisme et le fait de manger des corps morts s'étendent. Assez courant sont les cas de paysans utilisant les corps de leurs enfants morts de faim. Il y a aussi une série de cas connus dans lesquels les familles tuent leurs membres les plus faibles, d'habitude les enfants, et les utilisent comme nourriture ».

En juin 1933, les paysans avaient perdu leur terres au profit des kolkhozes, avaient été interdits de partir pour la ville ou de quitter l'Ukraine soviétique, s’étaient vu interdire d'acheter ou de vendre des aliments et avaient été obligé de livrer toute la nourriture qu’ils possédaient.

Ils sont morts de faim, par millions.


Le stalinisme

Varsovie, pendant ce temps, était occupé à consolider ses relations avec Moscou. Le pacte de non-agression de juillet 1932 n'améliora pas les conditions dans lesquelles les diplomates polonais et les espions travaillaient en Ukraine soviétique. Ils constataient que les communistes ukrainiens restaient très méfiants envers la Pologne, davantage que les communistes russes. En général, les officiers de renseignement polonais travaillant dans la RSS d’Ukraine étaient surpris par l’importance donnée par les fonctionnaires soviétiques à leur propagande sur la menace polonaise. Niezbrzycki lui-même, donna des instructions à ses agents pour s'adapter eux aussi au pacte de non-agression et pour éviter particulièrement tout contact avec les patriotes activistes ukrainiens. Niezbrzycki interdit en particulier au prométhéen Piotr Kurnicki de poursuivre ses contacts avec les Petliurites de Kyiv. Ce dernier écrivait d’ailleurs, « Nous avons signé un pacte de non-agression avec l'Union soviétique et nous voulons être loyal, même si nous sommes constamment l’objet de provocations et de chantage ».

Les diplomates polonais, comme ceux des autres pays occidentaux, étaient parfaitement au courant de la famine monstrueuse qui accablait l’Ukraine pendant les années 1932-33. Même à Kharkiv (capitale de la RSS d’Ukraine) et à Kyiv, des villes qui avaient le privilège de se trouver en dehors du périmètre de la faim, la famine était impossible à cacher. Le consul général à Kharkiv écrivit sur l'énorme augmentation des requérants en février de 1933 : « A présent tous veulent venir en Pologne, chacun se cherche des raisons réelles ou imaginaires pour se réclamer de la citoyenneté polonaise, tous se plaignent de la misère et de la faim insupportable. Souvent les demandeurs, des hommes adultes, pleurent lorsqu’ils parlent de leur femme et de leurs enfants morts ou gonflés par la faim ».

Le seul fait de se présenter au consulat de Pologne était un signe de désespoir extrême dans la mesure où ceux qui s’en retournaient étaient systématiquement arrêtés et disparaissaient à jamais. Des officiers de renseignement polonais, de leur propre initiative et sans ordres supérieur, écrivirent un rapport sur la famine. Ces hommes et ces femmes, qui en avaient vu beaucoup au cours de leur vie, ont invariablement utilisé un ton différent dans la description de la souffrance dont ils avaient été les témoins en 1933. Józefina Pisarczykówna écrivait depuis Kharkiv que “la faim étreint presque toutes les couches de la société, et on entend très fréquemment parler de cas de cannibalisme. Dans la rue, on voit la Mort et les morts”. Un autre agent à Kyiv décrivait, dans un rapport qui a été largement diffusé à Varsovie, les "cas de mort par inanition dans les rues et sur les places se comptent non par dizaines mais par centaines tous les jours” et les conditions sont bien loin d’atteindre celles qui prédominent dans les campagnes. "Le cannibalisme", continuait-il, “est devenu presque courant. La mortalité a atteint de telles proportions qu'il y a des cas de villages qui ont disparu complètement”.

Ecrivant à nouveau en octobre de 1933, le Consul concluait que “A ce jour, au moins cinq millions de personnes sont mortes”.

Les officiers de renseignement polonais croyaient que la famine avait éliminé toute trace de résistance dans les campagnes ukrainiennes. Les officiers ukrainiens qui dirigeaient leurs propres agents en Ukraine soviétique depuis la Pologne, étaient également pessimistes. Leurs réseaux avaient été réduits à la suite des coupes budgétaires et Moscou avait accentué les mesures de police à la frontière. Leurs meilleurs agents étaient tombés les uns après les autres. Le total des dépenses polonaises pour les projets prométhéens avaient chuté de 31% de 1932 à 1933.
Il y avait en effet des agents petliurites en Ukraine soviétique pendant la famine, ainsi que Staline l’affirmait, mais ils n’eurent aucune influence directe sur le cours des évènements.

Le seul groupe de population situé entre Varsovie et Moscou qui voulait la guerre en 1933 était la paysannerie ukrainienne. Beaucoup moins de paysans réussirent à traverser la frontière en 1933 qu'en 1930, mais les réfugiés mettaient toujours leur espoir dans une guerre de libération qui n’aurait que peu aggravé leur situation critique. Les paysans ukrainiens "souhaitaient que la Pologne, ou n’importe quel autre État, viennent les libérer de la misère et de l’oppression". Deux enquêtes secrètes d'opinion publique commandées par Varsovie donnèrent presque les mêmes conclusions. Le pacte soviéto-polonais de non-agression de juillet1932 était venu au plus mauvais moment pour les paysans ukrainiens, dans la mesure où il ôtait l’espoir d’une guerre de libération mené par la Pologne juste comme la famine débutait en Ukraine.

Piotr Kurnicki, déclarait en décembre 1933 que les paysans ukrainiens, dans leur désespoir, ne pourraient plus maintenant qu’attendre une attaque allemande.

Le seul Polonais qui semble avoir cru en une guerre de libération était, semble-t-il, Józef Pilsudski lui-même. En septembre 1933 il ordonnait d’accélérer et d’achever une étude sur l'Armée Rouge en Ukraine soviétique qui fut présentée le 19 octobre suivant. Les agents polonais en Ukraine avaient reçu des instructions pour prêter une attention spéciale à la question des nationalités. Le "Vieux Gentleman", comme Niezbrzycki l'appelait, devait prendre une décision vers la fin de l'année. Cette décision tomba le 16 décembre et elle était négative. Il semble que Pilsudski avait dû reconnaître que la famine de masse en Ukraine avait réduit à néant toute opportunité pour la Pologne.

En 1933, Staline n’exprimait plus d’inquiétudes au sujet d'une attaque polonaise. Son “front polonais” et son “front paysan” avaient tous les deux été rendu silencieux par la famine.
Que ses craintes aient été vraies ou fabriquées, il avait résolu les deux questions de la façon qu'il aimait. La volonté de Staline de laisser mourir des millions de personnes a désorienté l’appareil de renseignement polonais, au point que les modestes projets des prométhéens polonais paraissaient démodés pour ne pas dire dépassés. Un tel crime et un tel cynisme n’avait jamais été imaginé.

Les présuppositions du prométhéisme du dix-neuvième siècle qui voulaient qu'une nation puisse en aider une autre dans l’intérêt de tous, ou du moins que la Pologne puisse aider l’Ukraine dans l’intérêt de la Pologne, se perdirent dans les rêves du passé.


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Paul



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MessagePosté le: Lun Mar 29, 2010 12:20 pm    Sujet du message: Répondre en citant

L’auteur, Timothy D. Snyder, dont j’ai traduit la plus grande partie de l’article (j’ai laissé de côté les détails qu’on pourra retrouver dans le texte original), est professeur à l’Université de Yale (USA). C’est un spécialiste de l’histoire des pays d’Europe orientale.


Les raisons du choix de cet article.

Il y en non pas une mais plusieurs. Souvent, lorsqu’on parle de l’Ukraine du XXe siècle, on se borne à aborder celle de l’UNR (1918-1921) - éventuellement pour ceux qui sont au courant, celle de la ZUNR en Ukraine occidentale (1918-1919) pourtant à la source des mouvement nationalistes – puis on passe à l’Holodomor, famine-génocide organisée par Staline avec l’aide de ses âmes damnées comme si rien ne s’était passé en RSS d’Ukraine jusqu’à ces années fatidiques – on parle rarement de l’UVO mais surtout de l’OUN et au combat de son bras armé, l’UPA, contre les soviétiques en signalant parfois, mais pas toujours, qu’elle s’était scindée en deux ailes antagonistes et parfois ennemies depuis 1940 – puis on fait un saut jusqu’à l’indépendance de l’Ukraine actuelle en oubliant trop souvent le combat mené depuis les années 1950 et jusqu’à l’indépendance par de nombreux groupes clandestins qui menèrent une lutte sans relâche quoique non-violente pour affirmer la spécificité de l’Ukraine et pour dénoncer les menées colonialistes de l’URSS.

Trop s’imaginent que l’UNR (République Populaire d’Ukraine) cessa d’exister à partir de la paix de Riga qui mettait fin en 1921 à la guerre entre la République de Pologne et les Bolcheviques de Lénine.

Or l’UNR continua d’exister en exil, d’abord sous la direction de l’Otaman Symon Petlioura, assassiné à Paris par plus que certainement un agent bolchevique, puis par Andriy Livytskyi (et ses successeurs) qui devint le Président en exil du Directorat de l’UNR et Otaman en chef de l’Armée de l’UNR de 1926 à 1948 puis Président en exil de l’UNR de 1948 à 1954. Celui-ci s’installa à Varsovie où il poursuivit la politique d’alliance de la Pologne et l’UNR telle qu’établie par le Traité de Varsovie d’avril 1920 (ou Alliance polono-ukrainienne) par lequel la Pologne reconnaissait l’UNR comme un Etat indépendant sous la direction de Petliura. Ce traité était accompagné d’un accord militaire par lequel la République de Pologne assurait le gouvernement de l’UNR de l’appui militaire polonais pour regagner les territoires ukrainiens occupés par les Bolcheviks, y compris Kyiv. L’armée ukrainienne était subordonnée au commandement polonais et en échange elle était équipée par la Pologne. Ce traité comprenait une clause qui fut toujours respectée par l’UNR et vivement combattue par les nationalistes : il fixait la frontière entre la Pologne et l’Ukraine sur la rivière Zbrutch (ancienne frontière entre l’Empire autrichien et l’Empire russe) et reconnaissait ainsi la souveraineté de la Pologne sur la Galicie orientale peuplée majoritairement d’Ukrainiens. L’UNR n’intervint jamais pour défendre les droits des Ukrainiens sous souveraineté polonaise : c’était une affaire intérieure à la Pologne.

L’article de Timothy D. Snyder parle donc des efforts conjoints de certaines instances polonaises, sous les auspices du Maréchal Pilsudski et de l’UNR pour établir une Ukraine indépendante à la place de la RSS d’ Ukraine. Les étapes sont bien décrites : refondation en Pologne de l’Armée de l’UNR et formation des officiers ukrainiens dans les académies militaires polonaises, propagande et agitation en Ukraine soviétique menée par des agents ukrainiens dépendant de l’Etat-major de l’armée de l’UNR appuyé par le Deuxième Bureau polonais. Refus affirmé en Ukraine de la collectivisation, ou plutôt nationalisation des terres, par des manifestations de masse et des révoltes armées et souhaits répétés des paysans de voir une intervention armée étrangère qui chasserait le pouvoir communiste. Crainte (peur ?) de Staline d’une intervention armée extérieure (Pologne + Roumanie, alors alliés + Armée ukrainienne de l’UNR) couplée à une révolte des paysans ukrainiens défendant leurs biens et leur liberté nationale et qu’un gouvernement « petliurite » était prêt à prendre en charge pour remplacer les autorités soviétiques en pleine débâcle.

Mais cela ne se fit pas. Les raisons principales étaient la crise de 1929 dont les effets se firent sentir un ou deux ans plus tard en Europe et qui conduisit à la réduction drastique de tous les budgets de l’Etat polonais, y compris celui de l’Armée tandis que parallèlement, l’Armée Rouge ne cessait de se renforcer. D’autre part, pour faire jouer les traités d’alliance (Roumanie), une attaque contre l’URSS ne pouvait avoir lieu qu’après démonstration d’une attitude hostile de ce pays. Les conséquences de la crise et les démarches conciliantes de l’URSS conduisirent à la signature d’un Pacte de non-agression entre la Pologne et l’URSS, négocié en 1931 et signé en 1932.

Soulagé de la menace extérieure, Staline pu se retourner contre le front paysan ukrainien et l’écraser avec un cynisme et par des moyens que personne n’avait imaginé. Ce fut l’Holodomor ou mort par la faim de millions de paysans, tragédie décrite par les agents consulaires de la plupart des pays et par leurs agents de renseignements. Outre ces morts, l’Ukraine fut aussi parcourue dans les mois et années suivantes par des millions de paysans sans terre ni village qui erraient et se résolvaient finalement à travailler dans les kolkhozes pour survivre.

Cette collectivisation n’étaient en fait que le retour du servage aboli il y avait seulement soixante-dix ans.

L’Ukraine était donc écrasée par une tragédie qui n’avait pas encore de nom, son tissu social était complètement désintégré et toute possibilité de révolte avait été écrasée. Staline avait gagné par des moyens jamais utilisés jusqu’alors et que personne avant lui n’avait osé imaginer avec une telle ampleur.
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