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AGENTURA soviétique - Clandestinité UPA en Galicie 1944/1948

 
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Paul



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MessagePosté le: Dim Avr 25, 2010 1:21 pm    Sujet du message: AGENTURA soviétique - Clandestinité UPA en Galicie 1944/1948 Répondre en citant

AGENTURA : Les réseaux d’informateurs des Soviets & la Clandestinité ukrainienne en Galicie – 1944 / 1948

D’après Jeffrey Burds.
Article complet et références : http://www.history.neu.edu/fac/burds/agentura1.pdf


« Nous ne craignons pas les ennemis déclarés, mais plutôt ceux qui, avec des mots mielleux sur leurs lèvres viennent à nous avec l’ordre de mettre nos âmes en pièces et de semer les germes de la dissension dans nos cœurs. »
- Iu. Klen, Les Années Maudites


[Cité dans une brochure de l’organisation des Ukrainiens Nationalistes.
Iu. Klen était le pseudonyme de l’écrivain ukrainien « Volksdeutsche » Oswalt Burghart.
Cette brochure de la Clandestinité était un des nombreux listovki anti-soviétiques distribués à L’viv
dans la nuit du 3 février 1946.]



29 octobre 1945, Stanislaviv oblast, dans les Carpathes. Ukraine occidentale

Des forces lourdement armées du Commissariat du Peuple aux Affaires Intérieures (NKVD) se dirigèrent vers le quartier général régional du Slujba Bespeky (SB) de Kolomyia, le service de sécurité et de contre-espionnage de la Clandestinité indépendantiste ukrainienne. Après un violent combat, les spetsgruppy (unités chargées des basses besognes) tuèrent le chef régional du contre-espionnage rebelle, connu seulement par son pseudonyme, Iaroslav.
[Les deux agences clés de la police secrète soviétique étaient le NKVD et le Commissariat du Peuple à la Sécurité d’Etat –NKGB. En mars 1946, à la suite de la suppression des Commissaires du Peuple, elles furent renommées respectivement Ministère des Affaires Intérieures (MVD) et Ministère de la Sécurité d’Etat (MGB)]

En perquisitionnant les locaux, les agents du NKVD découvrirent une cache contenant des papiers et des archives. Un document sortant de l’ordinaire attira particulièrement leur attention. C’était une analyse extrêmement fouillée de vingt pages sur les méthodes utilisées par la police secrète soviétique en Ukraine occidentale et intitulée « Pratiques de l’Agentura du NKVD-NKGB ». Ce document confidentiel avait été dactylographié à un nombre limité d’exemplaires et était destiné aux dirigeants du SB. C’était une sorte de Malleus maleficarium de l’espionnage soviétique, un manuel pour la chasse aux espions soviétiques.

Cette étude était si magistralement précise qu’elle remonta rapidement la hiérarchie du commandement soviétique et aboutit à la Direction d’Etat pour le Combat contre le Banditisme (GUBB), une branche particulière du NKVD qui avait sous ses ordres les spetsgruppy chargés de la lutte contre les bandits (vrais ou supposés) et les groupes clandestins indépendantistes. Le document, annoté par le Chef du GUBB fournit le meilleur témoignage sur son exactitude. Celui-ci écrivait : « Les auteurs des instructions sont inconnus, mais son contenu atteste qu’il y a des « bandits » du SB qui connaissent bien les méthodes de travail du NKVD-NKGB, et il est également possible que certains d’entre eux travaillent dans nos organes ». Cette découverte fit trembler les agences de sécurité soviétique qui commencèrent à chercher qui se cachait derrière l’auteur du document.

Le document démontrait l’importance déterminante des réseaux d’informateurs ou ‘agentura’ dans la consolidation du contrôle des régions nouvellement (re)conquises. Comme l’auteur de ce texte le dit nettement : « À cause de leur nombre insignifiant et du manque de contacts directs avec les populations de la région, les quelques douzaines d’agents du NKVD-NKGB qui se trouvaient dans les appareils locaux n’étaient pas en position d’accomplir leur travail. Pour les seconder, ils ont mis en place secrètement, dans chaque village et avec des gens du lieu, des réseaux spéciaux d’’agentura’. Les organes du NKVD-NKGB n’ont pu débuter leurs activités qu’après l’organisation de tels réseaux. Avec l’assistance des informateurs, ils pouvaient contrôler au jour le jour la vie des populations des zones habitées, révéler et « cultiver » des gens qui les aideraient le moment venu. »

Grâce aux collections ‘top secret’ du GUBB à Moscou et celles se trouvant à Kyiv et à L’viv, cet article présente la pacification de l’Ukraine occidentale par les Soviets. Ce combat dépasse de loin l’impression donnée à beaucoup de ses participants et il fut finalement gagné par les Soviets, non sur le champ de bataille, mais par la construction réussie d’un système compliqué de réseaux d’espionnages, ou ‘agentura’.


Une opposition bien enracinée

Les Ukrainiens indépendantistes s’étaient préparés au retour des forces soviétiques en trois étapes. En premier lieu, depuis mars 1944, ils avaient pour la plupart cessé les hostilités contre les forces d’occupation allemandes, d’ailleurs en pleine déroute. La tactique des Rebelles avait évolué du combat contre les Allemands à la mise en place de mesures pour interdire l’entrée des Soviets.

En deuxième lieu, l’approche des communistes était accueillie par une mobilisation massive des Rebelles prêts au combat pour l’indépendance. À l’époque où l’Armée Rouge pénétra en Ukraine occidentale, au printemps 1944, chaque chef de famille paysanne avait préparé plusieurs abris (skhrony, ubejichtcha, ukrytiia) dans lesquelles ils avaient dissimulé des armes et des munitions, des stocks de nourriture et des vêtements, dans le cas où ils devraient se cacher, eux et leur famille, pour se protéger contre les raids des Nazis, Roumains, Polonais, Soviets, ou de l’un des nombreux groupes de vrais bandits qui maraudaient dans ces régions dévastées par la guerre. De tels refuges étaient indispensables dans une région où la guerre avait marqué profondément les habitants, où une forte proportion de la population avait été tuée ou raflée pour le travail forcé en Allemagne, et où une autre fraction importante avait été exécutée ou déportée en Sibérie ou en Extrême Orient pendant la première occupation soviétique.
Il y avait aussi des skhrony spéciaux destinés à servir d’hôpital, de poste de police, d’imprimerie et de dépôt d’archives ainsi que d’entrepôts pour tous les besoins. Pendant la période 1945-46, les forces soviétiques découvrirent 28.969 refuges en Ukraine occidentale seule. La croissance extraordinaire de leur nombre, pendant et après la guerre, était la conséquence directe des instructions données par les Rebelles.

En troisième lieu, les Indépendantistes menèrent une campagne visant à préparer les Galiciens à une nouvelle ère de combats. Dans des brochures, des journaux et des tracts distribués dans tout le pays, les écrivains clandestins de l’OUN-UPA dressaient un tableau réaliste du futur de l’Ukraine occidentale sous la botte des Soviétiques. Sur le plan tactique, il s’agissait de répéter les instructions données par la direction de l’OUN-UPA le 11 août 1944 : « Mener la lutte contre la mobilisation [des hommes de la région] dans l’Armée Rouge. 1. Au moyen de fausses listes d’affectation. 2. Par le refus généralisé de se présenter (neiavka) dans les Centres de Recrutement militaires (voenkomat). 3. Par l’organisation d’évasions [des mains des Soviétiques]. 4. Avec des tracts [appelant les gens à boycotter la mobilisation dans l’Armée Rouge]. »

Craignant la terreur qui suivrait l’arrivée de l’Armée Rouge, les adolescents et les hommes adultes de Galicie s’enfuirent dans les bois, résistant de cette manière aux Soviets en se cachant. Partout, la proclamation de la conscription provoquait la disparition des hommes. Par exemple, lors de la levée dans le Iarovskii raion, les 5 et 6 août 1944, 341 conscrits furent convoqués mais seulement 42 se présentèrent ; les autres s’étaient volatilisés dans les refuges ou dans les forêts voisines. La même chose se produisit partout ailleurs. Fuyant l’Armée Rouge, ces « objecteurs de conscience » devenaient des fugitifs selon les lois soviétiques et rejoignaient les bandes qui parcouraient les forêts de la Galicie d’après-guerre où plus de 24.000 kilomètres carrés de forêts fournissaient des abris à ceux qui fuyaient les Soviets.

Cette rébellion contre le pouvoir soviétique et le boycott du service militaire n’étaient pas - à la consternation des chefs rebelles - synonyme de renforcement des rangs de l’OUN/UPA. Cette forme de guerre renforçait plutôt les innombrables bandes de maraudeurs ainsi que les groupes de bandits qui terrorisaient les populations locales, les Rebelles ainsi que les Soviets. Même entre eux, les dirigeants des indépendantistes d’Ukraine occidentale se plaignaient amèrement des actions de ces vrais brigands. Le chef d’une délégation de l’Armée Polonaise de l’Intérieur (AK-WiN, Armia Krajowa-Wolność i Niezawisłoś) reconnu lors d’une réunion conjointe avec les Rebelles de l’OUN en juillet 1945 qu’il y avait « … beaucoup d’éléments irresponsables dans la population polonaise, plus particulièrement ceux de la jeune génération … qui avait des contacts avec des bandits et qui salissaient l’honneur de l’AK [en parlant en son nom], en pillant et menaçant pour leur profit personnel non seulement des Ukrainiens, mais aussi des Polonais. Nous devons les éliminer par tous les moyens » [d’après un protocole de l’UPA daté du 11 juillet 1945 et saisi par les organes de sécurité communistes]. Les difficultés des véritables Rebelles, comme l’OUN ukrainienne et l’AK polonaise, pour soumettre à la discipline militaire ces bandes incontrôlées étaient préjudiciables car les activités terroristes et le banditisme de ces unités indisciplinées fournissaient de puissants arguments à la propagande soviétique. L’accusation principale – que l’OUN n’était rien d’autre que des fascistes qui, pendant et après la guerre, terrorisaient les populations locales – deviendra une arme efficace dans la manière de présenter la Galicie de l’après-guerre.


L’escalade de la répression soviétique

L’arrivée de l’Armée Rouge, suivie par les gardes frontières du NKVD soulagea un peu la crainte, chez les Soviets, de se retrouver dans une région largement hostile à leur autorité. Pendant les premiers dix-sept mois de la réoccupation de l’Ukraine occidentale (février 1944 jusqu’à juin 1945), des rapports secrets du NKVD révèlent que celui-ci conduisit 15.733 opérations militaires et paramilitaires contre les Indépendantistes. Les chiffres de leurs efforts sont stupéfiants : 91.615 « bandits » ukrainiens, suivant la rhétorique communiste, furent tués ; 96.446 furent capturés et 41.858 s’étaient rendus. En liaison avec cette brutale campagne militaire, 10.139 familles ukrainiennes (26.093 personnes) furent déportées pendant la première année de pacification et des dizaines de milliers d’autres les suivirent les années suivantes. Le tableau suivant présente un portrait comparatif de l’escalade de la répression soviétique lors de la reconquête des régions frontières.

Pacification soviétique des régions ukrainiennes occidentales :

Période : de février 1944 àoctobre 1945

Tués : 98.696

Capturés : 107.485

Se sont rendus* : 92.219

* Comprend les « bandits indépendantistes » ainsi que les « déserteurs » qui refusèrent de servir dans l’Armée Rouge.
Source : extrait d’un rapport secret de Beria à Staline daté du 22 novembre 1945.


D’autres données indiquent que l’escalade de la répression ne ralentit pas. Dans un communiqué expédié à Nikita Khrouchtchev en date du 28 mai 1946, le Ministre ukrainien de l’Intérieur résumait les coups portés à la Résistance nationaliste en Ukraine occidentale : pour les 28 mois de la période février 1944 / 25 mai 1946, les organes d’Etat du Parti et les forces spéciales du MVD ont conduit 85.571 opérations militaires et paramilitaires contre les Rebelles indépendantistes au cours desquelles furent tués 110.825 « bandits » (Rebelles) et autres hors-la-loi (déserteurs), 250.676 personnes furent arrêtées.

Les dirigeants soviétiques étaient en effet confiants dans leur supériorité militaire. Au cours de cette première époque, partout, parallèlement aux impitoyables actions militaires on organisait ‘l’éducation des masses’ « afin de saper l’influence de l’OUN sur la population et en particulier sur la jeunesse rurale qui était leur principal soutien ». Un des leitmotivs de la propagande soviétique de l’immédiat après guerre consistait à présenter la Clandestinité comme rien moins qu’un tas de bouchers nazis qui terrorisaient le peuple ukrainien.


De la guerre à la guerre civile

CHRIST EST RESSUSCITÉ –
COMME L’UKRAINE RESSUSCITERA.
Tract clandestin de l’OUN (1944)

Rétrospectivement, il est facile de mettre en doute les chances de succès du combat pour l’indépendance de la Galicie. En 1944 et 1945, la victoire de l’OUN dépendait de trois facteurs. Le premier était le soutien sans failles du peuple galicien : les chefs de l’OUN étaient convaincus qu’aucune force d’occupation étrangère ne pourrait effectivement conquérir la Galicie si les habitants refusaient de reconnaître son autorité. Le second, la foi dans la victoire d’après ce calcul : les Galiciens espéraient que la reconstruction de l’après guerre et la consolidation du pouvoir soviétique ne pourraient être menées à bien, même par un Joseph Staline, si toutes les régions nouvellement occupées se transformaient en poches de résistance au pouvoir soviétique. Et le troisième, la conviction que les Alliés occidentaux allaient exiger la reconstruction de l’Europe de l’Est suivant un processus démocratique. De nombreux articles de la presse clandestine interceptés par les renseignements soviétiques, révèlent que l’OUN plaçait de grands espoirs dans une Troisième Guerre Mondiale entre la « Russie » et l’Amérique. Plus particulièrement à partir d’août 1945, les Ukrainiens comptaient sur la protection du parapluie atomique américain.

Toutefois, l’intensification de la campagne de pacification pendant les six premiers mois de la réoccupation par les Soviets avait eu un impact sur le moral de la Clandestinité. Dans leurs efforts pour soutenir la résistance populaire contre les autorités soviétiques, les dirigeants rebelles devaient combattre sur plusieurs fronts.


La guerre clandestine

Aussi longtemps que la Résistance ukrainienne s’était opposée ouvertement aux Soviets, la tâche des agences de Sécurité communistes était relativement simple : le moindre écart de la ligne de conduite définie par les Soviets était synonyme de trahison et donnait des raisons suffisantes pour procéder à des arrestations, des emprisonnements, des exils forcés ou des exécutions.

Mais, tout au long des mois et des années, depuis février 1944, les Indépendantistes ukrainiens montrèrent leur aptitude à s’adapter aux formes de la répression soviétique. Forcée de changer de tactique à la suite des pertes très lourdes qu’elle avait subie au cours des six premiers mois de la guerre de libération, la Clandestinité s’employa à définir de nouveaux objectifs pour garder ses forces intactes en attendant que de nouvelles opportunités se présentent.
La nouvelle tactique consista d’abord et surtout dans l’abandon de la guerre ouverte en faveur de plus petites opérations et d’embuscades conduites par des équipes de trois ou quatre personnes, ou si nécessaire, par des sections plus importantes de maximum quarante à soixante hommes ou femmes. Les instructions de l’UPA du début 1945 montraient ce changement radical de tactique : « Nous continuerons à poursuivre sans relâche notre travail organisationnel, politique et militaire, mais d’une manière plus secrète, dans la plus grande discrétion ».


Renforcement de la discipline

A partir de l’automne 1944, la Résistance dut aussi se battre contre le pessimisme qui menaçait d’éroder le soutien aux Rebelles ukrainiens. Les victoires répétées des Soviétiques sur les Nazis donnaient à l’Armée Rouge un air d’invincibilité aux yeux des populations des territoires occupés auparavant par les Allemands, et beaucoup de Galiciens devenaient réticents à combattre des forces soviétiques aussi puissantes. Cette diminution du soutien à la cause de l’OUN-UPA devint la principale menace contre laquelle la Clandestinité eut à lutter.

Les documents démontrent formellement l’usage de la répression appliqué par le SB Ukrainien contre deux types de transfuges : les membres irrésolus et les collaborateurs avérés. Opérant dans une atmosphère de fatalisme causée par les pertes de plus en plus nombreuses face aux forces supérieures des Soviets, la direction rebelle appliqua des sanctions particulièrement sévères pour décourager les défections. Les réprimandes formelles ou les menaces étaient utilisées seulement dans les cas d’insubordination. Assimiler la désobéissance ou la négligence – symptômes d’une chute du moral – à des actes de trahison contre l’Ukraine était un moyen très efficace pour décourager l’indiscipline.
Quand la connivence ou la collaboration avec les Soviets étaient suspectées, on renonçait à de telles réprimandes en faveur d’une réponse autrement plus forte, à savoir, la mise en circulation de listes noires. Au début septembre 1944, le chef du SB du Kamin’-Koshyrs’kyi raïon, expédia un mémorandum à un officier non nommé de la Clandestinité lui indiquant la nécessité d’enquêter et de liquider des informateurs découverts dans son groupe [Le texte, très documenté, était daté du 4 septembre 1944 et le deuxième patronyme des traîtres se distinguaient par la terminaison –vitch - généralement assimilé à un usage russe car il n’est pas utilisé habituellement dans la forme galicienne du nom alors en usage qui était du type, p. ex., Олійник Михайло, батько Яків / Oliïnyk Mykhaïlo, père Iakiv, c-à-dans l'ordre : Patronyme, prénom, père -prénom de celui-ci sans le suffixe -vitch].

Ce type de document – pas rare dans les dossiers du SB – montre l’incroyable niveau atteint par la Clandestinité ukrainienne qui pouvait avoir connaissance de rapports détaillés provenant de l’intérieur du NKVD et autres agences.

Mais les Rebelles se retrouvèrent eux-mêmes fréquemment victimes de la « désorganisation » (dezorganizatsiia, razvorot) orchestrée par les agences de sécurité soviétiques. La « désorganisation » avait pour finalité le sabotage des opérations de la Clandestinité. Généralement, elle consistait à faire passer certains membres pour des collaborateurs. Une autre forme habituelle de celle-ci était l’exécution de raids fréquents pour rassembler des « suspects » qui étaient ensuite harcelés par le NKVD au cours d’interrogatoires. Certains étaient retenus plus longtemps, d’autres relâchés immédiatement. De tels raids était très courant et servaient à un double but : à la fois pour dissimuler les réseaux de l’agentura et pour propager la crainte et la suspicion parmi les Rebelles. Ce cycle sans fin d’arrestations et d’interrogatoires a miné considérablement les critères objectifs servant à définir l’appartenance et la loyauté à l’Ukraine, et avait ainsi pour résultat de rendre les personnes concernées virtuellement suspectes aux yeux de tous.


Luttes contre les défections populaires

Nous avertissons tous les citoyens ukrainiens : celui qui collabore avec les organes du NKVD/NKGB, ceux qui de quelque manière que ce soit et sans aucune raison travaillent avec le NKVD … seront considérés comme traîtres, et nous les traiteront de la même manière que nos plus grands ennemis.
Instruction de l’UPA, 11 juillet 1945

Bien réglementées, les contre-mesures adoptées par la Clandestinité ukrainienne suivaient une stricte procédure énoncée dans les instructions écrites de l’OUN-UPA. En réponse et en rapport direct avec les efforts du NKVD de pénétrer les réseaux clandestins ukrainiens, l’OUN mit en œuvre au début août 1944 « Nos contre-mesures … Liquidation des agents secrets [soviétiques] (seksoty) par toutes les méthodes possibles ».

Pour prévenir les fuites et pour décourager la collaboration avec les autorités soviétiques, les Rebelles publiaient régulièrement des listes de suspects, qui devinrent des listes noires à l’attention des groupes chargés des exécutions, habituellement effectuées au cours d’incursions nocturnes.

La Clandestinité ukrainienne réservait aussi ses violences contre les étrangers mobilisés en Ukraine occidentale pour la reconstruction d’après guerre. Le but de ces actions était de rendre toujours plus marquante la présence de la rébellion ukrainienne. Une instruction de l’UPA de février 1945 indiquait : « Nos coups contre les ennemis [soviétiques], contre le système ennemi, contre les agents secrets (seksoty) et leurs sympathisants, doivent être reconnus lorsqu’ils sont portés ». Les exécutions avaient pour but d’effrayer ceux qui collaboraient avec l’ennemi. Un texte de l’UPA du début 1945 ordonnait : « N’entreprenez pas de terreur généralisée contre les masses. Eliminez individuellement nos ennemis malveillants (zlochyntsi) ». Sachant parfaitement que l’usage aveugle de la terreur de masse par des unités locales indisciplinées pouvait les isoler du gros de leurs partisans, les chefs indépendantistes ukrainiens s’employaient à communiquer un ensemble précis de lignes de conduites aux populations locales. L’usage de la terreur individuelle était particulièrement efficace pour intimider les Rebelles arrêtés par les Soviets et qui commençaient alors à coopérer avec les autorités soviétiques.

La menace bien réelle de représailles individuelles est précisément la forme la plus efficace de terreur psychologique sur une population en général. Par exemple, à l’automne 1946, la Clandestinité organisa une campagne pour contrecarrer les livraisons de grain exigées par les Soviets et les mêmes menaces étaient adressées à ceux qui occupaient des postes dans les Villages soviétiques. Le résultat figurait dans un rapport aux autorités de l’automne 1946 : « Plus personne ne veut être chef de village car celui qui est élu un jour est retrouvé mort le lendemain matin ». Jusqu’à la fin des années 1940, beaucoup de « Villages soviétiques » n’existaient que sur le papier dans la mesure où les gens du lieu refusaient d’occuper les postes devenus vacants à la suite des exécutions par les Rebelles.

Des mesures de rétorsion étaient appliquées sans hésitation contre ceux qui étaient suspectés de collaboration avec le pouvoir communiste. Sur les 11.725 exécutions d’agents soviétiques au cours des 24 premiers mois sur les 35 de la période de l’après guerre pour lesquels on dispose de données fiables (février 1944 – décembre 1946), plus de la moitié (6.250) concernaient des Ukrainiens locaux. Si on inclut les membres des Bataillons de Destruction (istrebitel’nye batal’iony), la proportion approche les deux tiers (6.980). En utilisant des chiffres moins précis incluant les Soviets et les collaborateurs, un historien de Kiev, a estimé en 1994 que les Rebelles ukrainiens avaient effectués 14.500 actions contre les Soviets et leurs collaborateurs, tuant plus de 30.000 communistes, membres des forces de sécurité et collaborateurs locaux jusqu’à la fin 1945.

En contrepartie, les Soviets appliquèrent leur propre méthode : la terreur de masse avec la démonstration publique de leur puissance militaire supérieure. Dans les jours qui ont suivi la fin de la guerre, les raids soviétiques n’étaient pas des frappes chirurgicales. Il s’agissait d’une tactique de contrôle par l’intimidation. Au moyen de la désorganisation, de la terreur, des assassinats aveugles et des sabotages perpétrés par des unités spéciales du NKVD déguisées en « bandits » rebelles, les forces soviétiques commirent de nombreuses atrocités provoquant ainsi la confusion dans l’esprit des habitants.

Les Soviets mettaient également en pratique leur propre marque de violence. L’usage d’exposer les corps des Rebelles morts allait au-delà de la simple mise en scène pour intimider l’opposition potentielle. Cette pratique faisait partie intégrante des méthodes policières : le NKVD-NKGB « n’avait aucune peine à faire surgir des expressions d’horreur sur les visages des spectateurs quand ils devaient défiler devant les corps. Comme ils étaient désireux de connaître les identités des partisans tués, ils postaient une garde qui attendait et signalait pour interrogatoire tout individu qui détournait la tête ou semblait bouleversé par cette vue ». Les responsables de la police soviétique surveillaient également ou profanaient les tombes des partisans afin d’empêcher que les « bandits » morts ne se transforment en martyrs de la rébellion antibolchevique.
[Aujourd’hui, dans toute l’Ukraine occidentale, on peut trouver dans des bois ou sur des collines isolées des croix bien entretenues et d’autres monuments en mémoire aux Rebelles tombés dans la région.]


Opérations de contre-espionnage des Rebelles ukrainiens

Les efforts des Soviets en Ukraine occidentale furent dès le début marqués par des échecs grossiers et répétés de leurs services de renseignement et par une incapacité générale à découvrir et détruire la Résistance clandestine ukrainienne. La très mauvaise qualité de l’agentura en Ukraine occidentale au cours des premières années de l’après guerre était la conséquence de plusieurs facteurs. Le premier et le plus important était l’énormité du problème administratif auquel les Soviets devaient faire face. Les limites des premières campagnes de pacification des Soviets doivent être comprises dans le contexte de la reconstruction intensive qui était la conséquence de la politique de la terre brûlée menées par les Soviets et les Allemands dans les zones occupées. Il faut se rappeler également que la plus grande partie du territoire soviétique était complètement « libéré » par l’Armée Rouge dès le début du printemps 1944, plus d’un an avant la victoire en Europe.

Sollicitées au-delà de sa capacité, les forces de sécurités soviétiques étaient vulnérables à tous les niveaux de la Résistance locale. En Ukraine occidentale, les Soviets étaient confrontés à une hostilité presque généralisée. La région avait été reconquise sur les Allemands, mais n’était ni pacifiée ni complètement re-soviétisée. Et l’Ukraine occidentale n’était pas la seule dans cette situation. Partout dans les territoires qui avaient été occupés par l’Allemagne, les Soviets se trouvèrent en face de problèmes très délicats comme éradiquer les bandes de vrais bandits criminels qui parcouraient ces régions (problème qui atteignit son maximum en 1947), détecter et supprimer les collaborateurs du temps de guerre (qui continuèrent, jusqu’en mai 1945, à perpétrer des sabotages à l’arrière des lignes), remettre en place la légalité civile et la discipline dans des régions lasses de la guerre et peuplées de gens habitués aux actions clandestines. Quand les Soviets essayèrent d’obtenir un taux de participation élevé lors des scrutins clés de l’après guerre (1946), la majorité des gens disparaissaient jusqu’à ce que le jour de l’élection soit passé.

Il y avait aussi un problème d’effectifs. Les cadres les plus expérimentés se trouvaient au front jusqu’à la fin 1945 et, par la suite, les Soviets eurent à faire face aux énormes problèmes que constituaient la mise en place de gouvernements d’occupation ainsi qu’à combattre l’opposition des populations des pays occupés d’Europe Centrale et Orientale. Les dirigeants du Parti et les chefs de Raïon n’avaient pratiquement aucune expérience militaire et avec le peu ou l’absence de soutien de la population locale, étaient envoyés froidement dans les campagnes en s’imaginant pouvoir détecter et détruire des rebelles clandestins bien aguerris.

Manquant dramatiquement de personnel, les faibles forces soviétiques comptèrent sur l’emploi excessif de la coercition, de la violence et de la terreur pour pacifier les territoires reconquis.

Un inventaire complet du personnel opérationnel (opergruppy) dans les spetsgruppy de six des sept oblasts d’Ukraine occidentale révèle qu’il y avait seulement 101 officiers soviétiques avec au moins le grade de lieutenant, qui commandaient quelques milliers de membres des troupes spéciales du MVD pour une région de 79.000 Km2 et ayant une population, en 1946, de plus de 5,3 millions d’habitants. Ce renseignement – l’emprise des Soviets ne dépendait que de peu de cadres qui ne pourraient assurer que l’immobilisme – suggérait une tactique claire aux chefs de la rébellion ukrainienne. A savoir qu’il y aurait beaucoup à gagner en concentrant les actions du SB sur l’élimination du personnel clé soviétique. Les instructions de l’OUN-UPA de janvier 1945 expriment cette logique implacable : « Des attaques doivent être organisées contre la personne des dirigeants, le [régime] soviétique et ses points faibles. De telles attaques jetteront le trouble dans les rangs ennemis et dans leur système. Les Bolcheviques n’ont personne pour remplacer leurs fonctionnaires sinon en les faisant venir d’autres régions [de l’Union Soviétique]. De tels novices devront étudier la situation pendant un temps assez long [pour se familiariser avec nos conditions locales, et les Bolcheviques doivent] les attendre et les épargner [soigneusement] en attendant. »

Ce fut l’incroyable capacité de la Clandestinité ukrainienne à infiltrer les institutions de la répression soviétique qui rendit cette tactique si efficace. Les chiffres sont impressionnants. D’après des données préliminaires du NKVD pour vingt-quatre des premiers trente-cinq mois de la réoccupation de l’Ukraine occidentale (février 1944-décembre 1945), les groupes d’action de la Résistance éliminèrent 11.725 officiers, agents et collaborateurs soviétiques. Au cours de la même période, 3.914 fonctionnaires ou collaborateurs furent blessés et 2.401 portés manquant, très certainement enlevés par les forces de l’OUN-UPA. Rien qu’en 1947 et 1948, dans le seul oblast de L’viv, il y eut 635 actions de la Clandestinité nationaliste et 853 agents soviétiques ou collaborateurs furent supprimés.

Pour les autorités soviétiques d’Ukraine occidentale, la Résistance ukrainienne était une hydre : depuis des années, jours après jours, des raids ne cessaient d’annihiler des poches de résistances. Continuellement, les Soviets recevaient des informations selon lesquelles les structures de la Clandestinité ukrainienne avaient été décapitées. A maintes reprises, ils pouvaient lire des documents internes de l’OUN-UPA traitant des difficultés, du désespoir et des pertes infligées par l’ennemi, de la chute du moral, de la folie de poursuivre une résistance perdue d’avance. Cependant, la Résistance ukrainienne organisée démontrait sa capacité quasi miraculeuse de se renouveler : les chefs, et leurs familles, pouvaient être assassinés, emprisonnés ou déportés, d’autres ne cessaient de remplacer ceux étaient tombés. Jour après jour, les méthodes de combat de la résistance nationaliste se montraient chaque fois moins décelables et chaque fois plus efficaces.

L’implantation en profondeur et l’étendue de la Résistance força les Soviets à miser sur l’agentura. La guerre contre la rébellion ukrainienne, bien enracinée et profondément clandestine, ne pourrait être gagnée qu’en s’appuyant sur un nombre important d’informateurs et d’agents locaux.

Les principales caractéristiques de l’Agentura soviétique en Ukraine occidentale

Plusieurs cas tirés de l’expérience pratique et d’ordres secrets saisis chez les organes du NKVD-NKGB montrent que … il a été organisé sur le territoire galicien une forme particulière d’agentura, toujours active, montée avec des adolescents (douze à quatorze ans). Ils saisissent ces enfants au cours de raids, et sous divers prétextes, les ramènent au quartier général du NKVD-NKGB du Raïon. En les interrogeant, [les agents du NKVD] les menacent de mort s’ils ne disent [tout] : dans quelles maisons les banderovtsy sont-ils cachés ; qui leur donne à manger dans le village ; où se trouvent les dépôts ; qui est le chef local ; où se trouve leur point de rendez-vous ; etc. Compte tenu du caractère de masse de notre mouvement, beaucoup d’enfants de nos régions sont réellement capables de répondre à une partie au moins de ces questions (et il y en a qui peuvent répondre à toutes) à partir du moment où la majorité [des enfants ukrainiens], d’un certain âge, peut être assez observateur et avoir une bonne mémoire. Le NKVD compte sur cela et le met à profit.
« L’AGENTURA DU NKVD-NKGB EN PRATIQUE - 1945 »


Comme on l’a vu, les forces soviétiques comptaient sur une apparence d’invincibilité pour miner le moral du mouvement de résistance populaire dans les contrées frontières occidentales, en entretenant l’idée que le pouvoir soviétique était non seulement le plus fort, mais inéluctable. A côté d’une énorme puissance de feu et de nombreux avantages tactiques, les spetsgruppy soviétiques obtenaient un avantage considérable en jouant sur les rivalités locales et les antagonismes immémoriaux entre les divers groupes ethniques.

En Galicie, l’inimitié et les conflits séculaires entre Polonais et Ukrainiens n’avaient pas cessé avec l’arrivée de l’Armée Rouge mais s’était plutôt adaptés aux nouvelles circonstances, comme si chaque côté s’employait à utiliser les Soviets pour écraser l’autre. Les premiers collaborateurs de 1944 et 1945 étaient guidés par des intérêts nationalistes qui coïncidaient, au moins sur ce point, avec ceux du pouvoir soviétique. A cet égard, et en se gardant d’inclure la majorité des Polonais d’Ukraine occidentale, certains nationalistes Polonais étaient disposés à constituer un front commun avec les Soviets pour chasser la Résistance ukrainienne de cette région qu’ils considéraient traditionnellement comme partie intégrante du sud-est de la Pologne.

Il est démontré dans un rapport de six pages du 23 mars 1944 du chef du NKVD en Ukraine que les autorités soviétiques s’employaient effectivement à utiliser les rivalités ethniques en leur faveur. Après avoir passé en revue les principaux groupes de partisans polonais et les factions politiques, celui-ci recommandait une tactique spécifique pour mettre fin à l’efficacité de la clandestinité polonaise en Europe de l’Est. « La branche ukrainienne du mouvement partisan [polonais] nous donnent actuellement de grandes opportunités : (a) pour procéder à l’envoi d’agentura qualifiés en Pologne, Allemagne ; (b) pour transférer en Pologne des formations de partisans [ethniques] polonais ; (c) pour utiliser les détachements de la « Garde du Peuple » [polonaise] (GL – Gwardia Ludowa) afin de grossir rapidement les effectifs du mouvement partisan [AK] sur le territoire polonais et d’en assurer une importante désorganisation (razvorot) ».

La décision politique prise à Moscou en novembre 1944 de déporter les Polonais ethniques d’Ukraine occidentale fut un désastre pour le NKVD et les réseaux d’agentura de la région et ceci pour deux raisons. Tout d’abord, la déportation des Polonais donnait un coup fatal à la pénétration des Soviets dans les campagnes. Un résultat direct de la re-polonisation de la région dans l’entre-deux-guerres avait été l’arrivée de nouveaux « colons » dans la campagne galicienne. En 1939, la grande majorité des villages étaient mixtes – avec 10 à 30% de Polonais pour 70 à 90% d’Ukrainiens. C’était cette mixité qui assurait un flot régulier d’informations d’agentura aux autorités soviétiques dans la mesure où les rivalités ethniques encourageaient les dénonciations. A la fin 1945, les officiers de terrain du NKVD se plaignaient de ne plus avoir d’éléments pour surveiller les mouvements des Rebelles. Il fallut reconstruire les réseaux d’informateurs dans toute l’Ukraine occidentale.
[A moyen terme, la déportation des Polonais - « échangés » contre des Ukrainiens ethniques déportés en masses de la zone « polonaise » - favorisa la pacification soviétique de l’Ukraine occidentale en éliminant les bases des Rebelles vivant en Pologne à proximité de la frontière et hors de la juridiction des forces soviétiques].


L’agentura par décret

Des instructions aux officiers régionaux du NKVD révèlent que les réseaux d’informateurs de l’après guerre en Ukraine occidentale étaient largement organisés « par décret » : les officiers de terrain du NKVD recevaient l’ordre de recruter un nombre déterminé d’agents locaux et d’informateurs avant une date précise, habituellement dans les sept à dix jours. Le résultat – avant la mise en place des « réseaux parallèles » d’agentura en Ukraine occidentale à la mi-1947 – fut, sur le papier, de créer un système d’espions sans la moindre efficacité opérationnelle. Les pressions sur les officiers de terrain du NKVD pour produire le plus rapidement possible des résultats spectaculaires ont eu quatre conséquences directes. En premier lieu, les pressions de Moscou eurent pour conséquence une sérieuse escalade de la violence contre les populations locales. Placé entre le marteau et l’enclume, les agents de terrains préféraient utiliser des mesures excessives contre les populations plutôt que de construire systématiquement des réseaux de renseignements. En second lieu, ces pressions généraient un grand nombre de réseaux fictifs, ce qui fait que les agents soviétiques, plutôt que de transmettre des rapports racontant leurs échecs, préféraient plutôt fabriquer de toute pièce des résultats positifs. En troisième lieu, les pressions de Kiev et de Moscou empêchaient de procéder sérieusement à des enquêtes sur les personnes alors que la plupart des réseaux soviétiques étaient truffés d’agents doubles qui travaillaient aussi pour la Clandestinité. En conséquence, la perte d’agents de terrains victimes de la duplicité de certains ‘collaborateurs’ était fréquente. Finalement, les dossiers personnels du NKVD révèlent que ces facteurs combinés mirent à mal le moral des cadres : déjà que le service de l’Etat soviétique au cours de l’ère stalinienne était plutôt dangereux, l’Ukraine occidentale représentait une affectation particulièrement éprouvante.

Le réseau soviétique d’espionnage en Ukraine occidentale était impressionnant sur le papier. Le 1er juillet 1945, le NKVD faisait mention d’un total de 11.214 collaborateurs locaux dans les réseaux d’agentura en Galicie et Volhynie : 175 résidents, 1.196 agents et 9.843 informateurs (osvedomiteli). D’après un rapport top secret rédigé le 14 septembre 1946, moins de 9% (2.298) des 33.740 paysans galiciens faisant partie des 1.617 Bataillons de Destruction à la mi-septembre 1946 étaient des agents osvedomiteli travaillant pour les Soviets.

En pratique, ces données apportaient plus de déception que d’occasions de se réjouir. La grande majorité des opérations spéciales soviétiques dans toute l’Ukraine occidentales étaient compromises dès le début : le NKGB d’Ukraine fuyait comme une passoire, et quelque chose devait être fait. Cette vérité était rien moins qu’évidente devant l’incapacité généralisée des forces soviétiques à combattre l’ennemi. Le principe de la pacification par les Soviets en territoires hostiles était d’utiliser à la fois un système appuyé sur des informateurs et sur une répression impitoyable de la population en général. Mais, alors que les Soviets avaient la puissance de feu, ils manquaient complètement d’informations fiables. Au cours des trois premières années de la réoccupation de l’Ukraine occidentale par les Soviets, on eut l’impression de beaucoup d’activités mal organisées dans lesquelles une terreur menaçante était exercée sur toute la population sans pour autant infliger de pertes sérieuses à la Résistance ou à leurs chefs. Dans un rapport à Khrouchtchev, alors Secrétaire du Parti communiste d’Ukraine, daté du 8 août 1946, son adjoint du Comité Central pour les Affaires d’Ukraine occidentale se montrait incisif dans sa condamnation des opérations, soulignant qu’elles étaient plus vides de sens que d’actions réelles : « A cause d’une agentura déficiente, les opérations militaires [des Soviets] n’amènent aucun résultat dans la majorité des cas. Sur 3.753 opérations réalisées en juillet [1946], dans les [sept] oblast [d’Ukraine occidentale], 2.813 ou 75 pourcents [n’ont produit] absolument aucun résultat ; sur 4.238 embuscades, 3.929 ou 93 pourcents n’ont également rien donné. »

Ces chiffres n’étaient ni isolés ni atypiques. Dans un rapport secret à Khrouchtchev de septembre 1946, son adjoint indiquait que sur 42.175 opérations et embuscades par les Bataillons de Destruction en Ukraine occidentale, moins de 10% (4.210) avaient eu des résultats satisfaisant. Dans la grande majorité des cas, il n’y avait pas eu de contact avec l’ennemi ou des unités de répressions isolées avaient été désarmées et leurs chefs prosoviétiques exécutés ou enlevés. Ici aussi, les accusations étaient dévastatrices : « Les organes du MVD, du MGB, des troupes spéciales de l’Intérieur et des Gardes Frontières, tardent à réorganiser leur travail en substituant les opérations militaires par la pénétration de l’OUN clandestine au moyen de l’agentura. La majorité des actions des Rebelles ne font pas l’objet d’investigations, des contres mesures ne sont pas organisées et les Rebelles repartent sans que ne soit prises aucune mesure punitive. Les commandants des unités militaires du MVD s’efforcent de ne pas engager leurs unités, lesquelles, dans la majorité des cas, attaquent à l’aveuglette. » Il stigmatisait le MVD/MGB des oblasts occidentaux pour l’abandon de la recette bien rôdée qui consistait à «appâter » l’opposition et à procéder à des arrestations massives afin de recruter des informateurs, pour la publication de rapports trompeurs et excessivement optimistes, pour leur faiblesse dans la reconstruction des réseaux de renseignement démantelés, pour ne pas utiliser à fond ceux qui étaient encore en opération, et aussi pour leur « lâcheté et leur manque d’initiative » sur le terrain.

Par-dessus tout, ces données illustraient à quel point les forces soviétiques d’Ukraine occidentale étaient trompées par des informateurs qui sympathisaient avec les Rebelles. Jusqu’en 1947, le contre-espionnage des Rebelles ukrainiens parvint à miner les réseaux d’informateurs soviétiques à un point tel qu’ils rendaient virtuellement nuls les avantages que les Soviets tiraient de leur puissance militaire. En divulguant, plus souvent qu’à son tour, de fausses informations aux agents soviétiques, la Clandestinité menaient les forces soviétiques par le bout du nez dans une dangereuse parodie du jeu de cache-cache.

De plus, les données montraient à quel point les directions des raïons et oblasts d’Ukraine occidentale se montraient peu disposées à effectuer des opérations risquées et limitaient plutôt leurs efforts à d’apparentes actions énergiques plutôt que de procéder à la liquidation effective de l’opposition rebelle nationaliste.

L’information et la désinformation devenaient donc de puissantes armes dans les mains des Clandestins qui travaillaient délibérément à brouiller les pistes des unités opérationnelles soviétiques. La Rébellion devait impérativement renforcer les mesures de conjuration sur ses membres : « Donc, il est nécessaire de purger l’organisation [Rebelle] de toute confiance injustifiée, des éléments instables (nestiikyi), de détruire l’agentura de l’intérieur. LES BOLCHEVIKS SAVENT QU’ILS NE PEUVENT NOUS LIQUIDER AVEC LES ARMES ET LA TERREUR SEULES. » Sans agentura fiable, les opérations militaires soviétiques ne mèneraient à rien.


Les réseaux parallèles de l’Agentura

Pour les Soviets, la situation devait aller du pire vers le meilleur. Dans une lettre vigoureuse du 25 avril 1947, le Ministre soviétique de l’Intérieur reprochait à son adjoint de la RSS d’Ukraine l’augmentation du banditisme criminel et des actions des Rebelles. Pendant les trois premiers mois de 1947, la hausse du banditisme et des activités des Rebelles dans toute l’Ukraine avait été de plus de 100% par rapport au dernier trimestre 1946 ! « Le travail de l’agentura et les efforts pour liquider les bandes actives sont peu convaincant. » La démarche consistant à modifier radicalement la tactique de l’agentura soviétique avait déjà commencé un an auparavant. Le tour catastrophique des évènements du début 1947 donna l’opportunité de tester les nouvelles procédures dans une zone restreinte aux sept oblasts de l’Ukraine occidentale.

Le développement de réseaux parallèles d’agentura a marqué un tournant crucial dans la guerre des Soviets contre la Clandestinité ukrainienne. Les rapports de l’appareil de la sécurité soviétique ainsi que les dossiers saisis de la Résistance ukrainienne, révèlent sans aucun doute que la victoire soviétique fut obtenue grâce à un réseau d’espions efficaces.

L’agentura – la guerre clandestine des forces de sécurité soviétiques pour pénétrer et détruire de l’intérieur la Résistance ukrainienne, et pas seulement, comme dans la phase précédente, pour collecter des informations sur ses membres – fut le moyen principal par lequel l’opposition ukrainienne fut écrasée. Démoralisés par des échecs continuels, les chefs du MGB et du MVD des Raïons de L’viv furent convoqués à une réunion le 16 avril 1947. Le rapport sténographique de celle-ci montre leur exaspération de ne pouvoir éliminer la Rébellion ukrainienne plus de deux ans après la victoire soviétique en Europe. C’était à la suite de cette frustration et face à l’énorme pression de Moscou que les fonctionnaires locaux avaient introduit un changement dans leurs tactiques, avec une intensification de la campagne d’agentura. Reflétant l’enjeu important de cette tentative, Khrouchtchev fut éloigné temporairement de sa fonction de Secrétaire général du Parti communiste ukrainien d’avril à décembre 1947. Son remplaçant, Lazar Kaganovitch était responsable en grande partie de la supervision du renouveau de la tactique soviétique.
[En l’absence d’informations tangibles, les historiens acceptent généralement la propre version erronée de Khrouchtchev selon laquelle il fut déplacé à cause de l’hostilité de Staline pour ses soi-disant sympathies ukrainiennes. En fait, la disgrâce temporaire de Khrouchtchev fut causée par la répudiation de sa politique de terreur de masse utilisée pour écraser la Clandestinité. Trois années de direction de Khrouchtchev avaient non seulement laissé intacte la direction et l’infrastructure de la Rébellion ukrainienne, mais avait provoqué un plus grand soutien effectif de la population locale en faveur de l’opposition anti-soviétique. La nouvelle politique de 1947 voulait mettre l’accent sur des opérations ciblées visant directement les Rebelles et sur une politique de consensus visant à gagner la sympathie de la population en général.]

En 1948, la nouvelle politique était clairement en train de faire des dégâts. Dans des papiers trouvés après qu’il ait été tué dans un combat contre le MVD, un chef rebelle de l’UPA, décrivait l’atmosphère de méfiance qui s’était développée dans la Clandestinité à la suite de sa pénétration continuelle par les espions (seksoty) : « Les Bolcheviks nous minent de l’intérieur, grâce à l’agentura. Et c’est une méthode terrifiante [car] vous ne pouvez jamais savoir dans quelles mains vous vous trouvez. A chaque instant, vous pouvez vous attendre à rencontrer un agent [ennemi]. Avec de tels réseaux d’espions, le travail de toute une équipe est souvent dévoilé … L’Agentura a causé les plus grandes pertes à l’Organisation. »

Des informateurs rapportèrent que le secrétaire du « Village soviétique » de Hrynevka dans le raïon de Bibrka, un paysan galicien nommé Tychychyn, était lié avec les Indépendantistes. En brisant Tychychyn avec des « mesures spéciales » (c’est-à-dire par la torture), les agents du MVD le forcèrent à révéler la cache de cinq de ses compatriotes du village. Parmi eux se trouvait son propre fils qui fut assassiné avec ses compagnons le 10 novembre 1948 lors d’un raid effectué par des spetsgruppy. L’enquête qui suivit révéla que les Soviets avaient finalement liquidé leur ennemi juré dans la région de L’viv, un certain Myron, plus tard identifié pour être Iaroslav A. Diakon, originaire du village de Deviatnyky, oblast de Drohobych. Il y de nombreuses indications pour suggérer que Myron était l’auteur de l’analyse saisie à Kolomyia en 1945 dont il est fait mention au début de cet article et qui fit tant de bruit chez les dirigeants de la police soviétique. Suivant le rapport du MVD, Myron « se distinguait par son extraordinaire cruauté et son despotisme ». Plus qu’un simple brigand, Myron était surtout la force créatrice qui avait permis le développement de nombreuses techniques de contre-espionnages qui avaient fait leurs preuves en permettant de démasquer ou de liquider des agents soviétiques dans toute l’Ukraine occidentale.


La répudiation de la violence

Après avoir mis sous pression, pendant des années, les autorités des oblasts et des raïons des sept provinces d’Ukraine occidentale afin d’effectuer les atrocités programmées à grande échelle contre les populations locales, les autorités soviétiques commencèrent en 1948 la purge systématique des fonctionnaires locaux pour leur usage de « méthodes vicieuses » et de « maltraitances chroniques contre les paysans dans le travail politique de masse ». On fit endosser à des fonctionnaires locaux la responsabilité des excès du pouvoir soviétique dans toute la région pendant les années d’après guerre. Une nouvelle politique de consensus fut associée à des démonstrations avenantes de l’autorité soviétique lors de la condamnation publique de fonctionnaires locaux pour leurs abus. Cette campagne coïncidait avec une série de procès à grands renforts de publicité qui diabolisaient la Clandestinité indépendantiste ukrainienne.

Bien que la guerre entre le pouvoir soviétique et la Rébellion ukrainienne a continué activement jusque dans les années 1950, la situation s’était plus ou moins stabilisée dans la plupart des régions d’Ukraine occidentale à la fin de l’année 1948.

La tactique soviétique pour pacifier l’Ukraine occidentale avait évolué de la terreur généralisée et de l’intimidation à la propagande et à « l’éducation » des masses. Les violences, les arrestations, les exécutions, les déportations « hors de l’oblast » c’est-à-dire au Goulag, et les menaces continuèrent à meurtrir les ukrainiens indépendantistes et leurs sympathisants, mais les massacres à grande échelle des années d’après guerre étaient abandonnés.


A partir de la fin des années 1950, le combat continua sous une forme tout aussi décidée mais non-violente dans l’Ukraine entière. Ce fut celui des dissidents connus comme « ceux des années 60 » qui pour une bonne part se réclamaient des programmes de l’OUN-B puis, ou en parallèle, avec les organisations liées aux divers Groupes d’Helsinski qui défendaient les Droits de l’Homme … jusqu’à l’indépendance.
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Paul



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MessagePosté le: Dim Mai 16, 2010 9:42 am    Sujet du message: Répondre en citant

Exemple de skhrony (cache) découverte par les 'organes' soviétiques en 1947.

On remarque que l'entrée de celle-ci se trouvait sous une réserve attenante et était dissimulée sans doute sous un tas de pommes de terre.
Le relevé effectué par les Soviétiques est assez précis et montre des dimensions conséquentes qui la destinait à autre chose que la dissimulation d'une famille.

Des dizaines de milliers de skhrony furent creusés en Ukraine occidentale. La plupart étaient de dimensions plus modestes et permettaient de cacher les habitants d'une maison, des vivres et des armes. Certaines étaient carrément sommaires et étaient de la taille d'un tombeau. La dissimulation de l'entrée (et parfois des sorties qui pouvaient se trouver à plusieurs dizaines de mètres de la maison ou du jardin) laissait libre cours à l'imagination de leurs constructeurs. Celle-ci pouvait être recouverte de terre sur laquelle on avait planté un petit sapin qui basculait avec la trappe, se trouver sous des meules de foins, sous le poêle de la maison, sous l'autel de l'église, dans un tronc d'arbre mort, etc.

Toujours est-il que la leçon fut étudiée dans les Académie militaires soviétiques. On dit même que l'utilisation de tunnels et autres caches par le Viet Cong pour attaquer dans le dos les troupes américaines après leur passage dans un village, dérive de ces études. Ils permettaient de transformer le moindre lieu habité en forteresse ... ce qui ne fut jamais le cas ni le but recherché par les Indépendantistes ukrainiens.

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